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vendredi 1 avril 2016

Texte d'introduction à la conférence


 







Introduction conférence de Roland CAYROL
Bonsoir à vous tous et merci d’être venus nombreux écouter Monsieur Roland CAYROL. Merci à tous ceux qui ont relayé autour d'eux l'annonce de cette conférence. Merci particulièrement aux membres du Cercle Condorcet. Mais cette soirée n'aurait pu avoir lieu sans l'aide et l'engagement financier de nos 15 partenaires que nous remercions très sincèrement. (…).Un très grand MERCI à vous M. CAYROL pour l’immense plaisir que nous avons à vous accueillir à Péronnas. Si le public a répondu nombreux à notre invitation, c’est en raison de votre renommée : vous êtes Directeur du Centre d’Etudes et d’Analyse (CETAN), conseil en stratégie, relation avec l’opinion et communication. Egalement professeur et directeur de recherche à Sciences Po Paris. Vos fonctions annexes sont nombreuses et autant françaises qu’internationales. Vous êtes aussi Co-Fondateur de l’institut CSA (sondages et d’études de marché). Ceci n’est qu’une petite partie de votre CV.
Vous avez écrit une quinzaine d’ouvrages dont deux sont en vente ici ce soir : «Opinion, sondages et démocratie » et «Tenez enfin vos promesses» Fayard 2012. Vous êtes présent régulièrement sur les ondes et les chaînes de télévision, en particulier dans l’émission « C dans l’air » sur France 5. Merci Monsieur CAYROL d’avoir accepté de nous former sur la démocratie. Au début du XIXème siècle, le français Alexis Tocqueville nous a légué une précieuse étude sociologique et comparative de ses observations « De la démocratie en Amérique », je cite « J’ai voulu connaître la démocratie ne fût-ce que pour savoir du moins ce que nous devions espérer et craindre d’elle ».
Plus proche de nous encore, Churchill a eu cette formule connue : « la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres ». Et tout récemment dans un article paru dans Voix de l'Ain, vous citez les propos du premier ministre norvégien à la suite des attentats terroristes de 2011 à OSLO : «Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et plus d’humanité » et vous commentez « puis-je dire mon admiration envers cette attitude ? ». Nous aussi. Dans votre dernier livre «Tenez enfin vos promesses», vous démontrez que les Français n’ont jamais autant désiré être acteurs dans leurs cités, leurs quartiers, leurs entreprises, leurs modes de consommation. C’est encourageant et rare de l’entendre dans nos médias.
«Eclairer les hommes pour en faire des citoyens » disait CONDORCET. Cela est indispensable encore aujourd'hui dans notre monde complexe. C’est bien la raison d’être des Cercles Condorcet, excluant les propos et conduites racistes, xénophobes et extrémistes. Pour CONDORCET « on ne naît pas citoyens, on le devient ». Nous travaillons depuis quelques temps sur le thème de la démocratie, en nous appuyant sur l'observation des faits concrets, sur la raison critique, en nous méfiant «des idéologies qui pensent à notre place »  (selon JANKELEVITCH).
Le Cercle Condorcet de Bourg se veut sérieux sans se prendre au sérieux, il reste simple et accessible. Nous diffusons le fruit de nos travaux par des conférences publiques comme ce soir, par notre site internet, par notre bulletin imprimé. Le n°14 que vous pouvez vous procurer à la sortie, reprend deux textes, donnés en conférences publiques pour le Cercle Condorcet par Monsieur Raymond COURT, Professeur Emérite de Philosophie à l’université Jean Moulin de Lyon 3, « Les droits de l’homme en questions ? » et « Démocratie moderne ».  Ces deux textes d'analyse critique à partir de la Révolution Française, ont composé notre premier regard sur la démocratie. Votre éclairage différent de politologue et sociologue Monsieur CAYROL affinera ce soir notre connaissance sur ce sujet.
Merci Monsieur CAYROL de nous aider à mieux comprendre les dangers qui guettent la démocratie, et de nous présenter quelques ébauches de solutions. A vous la parole, maintenant, pour notre plus grand plaisir.
Péronnas le 17 Mars 2016, Pour le Cercle Condorcet de Bourg-en-Bresse,

Daniel GAUTHERET

lundi 23 novembre 2015

J'ai lu,j'ai vu...





"J'ai lu, j'ai vu".
 

















Zygmunt Bauman : La vie liquide, Paris, Pluriel, 2013, 254 p.

Dans son ouvrage publié en anglais il y a dix ans, le sociologue Zygmunt Bauman propose de prolonger son analyse de la modernité contemporaine, une « modernité liquide » [1]. « Une société “ moderne liquide ” est celle où les conditions dans lesquelles ses membres agissent changent en moins de temps qu’il n’en faut aux modes d’action pour se figer en habitudes et en routines. » (p. 7 [2]) Cette société se caractérise par la précarité étendue à toutes les réalités, par la mobilité et la vitesse. « La vie liquide est une vie de consommation » (p. 19) avec son corollaire, le déchet. En sept chapitres, l’auteur décline différentes conséquences de la modernité contemporaine occidentale sur la vie du sujet.
La société liquide engendre le sujet comme individu, c’est même un mot d’ordre. L’individualité qui se manifeste dans la différence devient alors une astreinte. « [Elle] est une tâche confiée à ses membres par la société des individus [3] […] [tâche contradictoire qui va] à l’encontre du but recherché : de fait, il est impossible de l’accomplir » (p. 34) puisqu’elle nie le sujet libre. Cette société des individus est une con­tradiction en soi qui, dès lors, engendre malaise et mécontentement. La crise d’identité du sujet s’enracine dans cette aporie. Et la quête de sécurité pour vivre dans cette apparente liberté va croissant. L’écart hiérarchique entre ceux qui peuvent jouer de cette situation et ceux qui la subissent en est augmenté.
L’avènement de la modernité avec l’état-nation avait transformé le martyr chrétien en héros, l’inutile en utile. Mais « alors que la société moderne liquide avance, avec son consumérisme endémique, martyrs et héros battent en retraite. » (p. 77) Aujourd’hui, « personne n’est censé souffrir » (p. 79) sauf s’il est légitimement châtié. Martyre comme héroïsme sont irrationnels. La société des individus ne valorise plus que les célébrités. Les effets sur la culture sont également importants. Cette dernière ne peut qu’être soumise aux gestionnaires et « aux critères du marché de la consommation » (p. 96).
« Le “ progrès ”, autrefois manifestation la plus extrême de l’optimisme radical […] représente aujourd’hui la menace d’un changement incessant et inévitable qui [annonce] la crise et la pression continuelles […]. » (p. 109) Au lieu d’évoluer vers un sympathique village global, cette situation suscite un besoin de sécurité. Les populations sont en mouvement. Des villes s’érigent en communautés fermées pour s’en protéger. Le sens de la ville est en pleine mutation.
L’auteur ne ménage pas cette société liquide reposant sur la consommation. « [Le consumérisme est] une science économique de la tromperie, de l’excès et du déchet ; […] [ceux-là formant] le seul régime pouvant assurer sa survie à une société de consommateurs. » (p. 130) Aucun objet rendu consommable n’échappe à la logique consumériste. Le marché est omniprésent. L’une de ses incidences est d’enrôler le corps. « [Le bien-être du corps du consommateur] constitue l’objectif premier de toute activité de vie […]. » (p. 145) Nous assistons à une incurvation du sens du désir. Les « corps » qui sont hors norme se trouvent alors exclus du groupe, le a-normal doit être dissout. L’enfance est la victime collatérale de cette conception. D’avenir de la nation, les enfants sont devenus des êtres intégrés au système, des consommateurs en modèle réduit.
Dans un environnement devenu instable, l’éducation devient un processus continu destiné à adapter l’individu aux changements successifs. Elle entre en interaction avec le marché. Se faisant l’écho d’Arendt et d’Adorno, l’auteur termine par une réflexion sur les « sombres temps » qui sont les nôtres. La visée d’émancipation humaine de la modernité a laissé place à la juxtaposition d’expériences individuelles. Pour ne pas verser dans le nihilisme et pour lutter contre la paupérisation du grand nombre à l’échelle planétaire, l’auteur en appelle à « la renégociation et [à] la réforme du réseau d’interdépendances et d’interactions globales » (p. 241).
Penseur majeur de la “ postmodernité ”, Zygmunt Bauman décrit avec pertinence une société liquide. Il pose un diagnostic lucide sur l’état du monde en refusant d’être le chantre de cette mondialisation. Son constat que la globalisation heureuse ne concerne qu’une minorité le conduit à refuser cet état des choses en restant arrimé à la rationalité issue des Lumières.
Un livre pour « penser dans de sombres temps » (p. 204) sans baisser les bras.

Bernard Michollet, 17 novembre 2015.



    [1].  Zygmunt Bauman, né en Pologne où il a enseigné jusqu’en 1968, est désormais professeur honoraire de sociologie de l’université de Leeds (UK). Sa critique de la modernité débouche sur une analyse de la société occidentale en termes de liquidité (Liquid Modernity, Polity Press, 2000). Liquid Life (Oxford, 2005) est traduit en français en 2006 (Le Rouergue/Chambon).
    [2].  La pagination est celle de l’édition de poche Pluriel 2013.
    [3].  Souligné par l’auteur.


  [1].  « De nos jours, la pire des illusions que puisse entretenir un militant de gauche, c’est donc de continuer à croire que ce système capitaliste qu’il affirme combattre, constitue par essence, un ordre conservateur, autoritaire et patriarcal, dont l’Église, l’Armée et la Famille définiraient les piliers fondamentaux. » (p. 41)

Et tu n'es pas revenu


Marceline Loridan Ivens


C’est un livre témoignage écrit avec un fil d’Ariane de vie dans l’enfer nazi des camps d’extermination. C’est une mémoire de la plus sombre histoire humaine du XXème siècle, «innommable» écrit Jean-Bertrand PONTALIS (« Un jour, un crime » Livre Poche). Destinataires de la lettre de son père qu’elle nous réécrit à travers son vécu dans son livre : écoutons et méditons le message qu’elle nous adresse. A 15 ans, Marceline LORIDAN est prise dans une rafle avec son père. La réalité quotidienne des camps est décrite avec intelligence et sans recourir au pathos. De Drancy au camp d’Auschwitz-Birkenau, puis  à son retour après la libération, elle témoigne que les rarissimes Juifs rescapés des camps d’extermination ne s’en remmetent guère de cet enfer mais aussi que la vie coule au-delà des ressorts brisés. Reliant sa mémoire au présent la montée de l’antisémistisme l’inquiéte avec ses retours obscurantistes et sombres du XXème.

C’est un livre bouleversant, intelligent, réaliste et plein de vie. A Drancy, son père lui dit « toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas». Au camp d’Auschwitz-Birkenau elle le perd à cause de la séparation. Puis ils se rencontrent au hasard de travaux forcés absurdes en dehors du camp d’extermination. Ils s’embrassent, « nous retrouvions nos sens, le toucher, le corps aimé, mais il interrompait pour quelques précieuses secondes le scénario implacable écrit pour nous tous (...). Un SS m’a frappée, traitée de putain (...). « C’est ma fille» tu criais (...) Ton raisonnement ne tenait plus (...) seul comptait leur obsession du nombre, on mourrait tout de suite ou un peu plus tard, on n’en  sortirait pas ». Son père ne reviendra pas. Appartenant aux rares rescapés, pour elle c’est le retour au monde des vivants en France avec toutes les incompréhensions, voire les dénis de l’impensable-innommable organisation (scientifique) nazie à banaliser le mal, à broyer l’humain. Une autre épreuve elle aussi décrite sans pathos.

Laissons à l’auteur dans ce résumé, irremplaçable à la lecture, les lignes de la fin de l’ouvrage :

«Je suis l’une des 160 qui vivent encore sur les 2 500 qui sont revenus. Nous étions 76 500 juifs de France partis pour Auschwitz-Birkenau. Six millions et demi sont morts dans les camps (...). S’ils savaient tous autant qu’ils sont, la permanence du camp en nous (...). Aujourd’hui, j’ai la gorge serrée. Je ne sais plus me détacher du monde extérieur, il m’a enlevé lorsque j’avais 15 ans. C’est une mosaïque hideuse de communautés et de religions poussées à l’extrême. Et plus il s’échauffe, plus l’obscurantisme avance, plus il est question de nous les juifs. Je sais maintenant que l’antisémitisme est une donnée fixe qui vient par vagues avec les tempêtes du monde, les mots, les monstres et les moyens de chaque époque. Les sionistes dont tu étais l’avaient prédit, il ne disparaîtra jamais, il est trop profondément ancré dans les sociétés » (...). Tu rêvais d’Israël, il est là, je m’y sens bien chaque fois que j’y vais, mais ce n’est pas le pays de paix auquel nous aspirions. Israël est en guerre depuis sa création. D’ordinaire les guerres se terminent, pas celle-là, car l’Etat juif n’a jamais été accepté par les pays arabes tout autour de lui (...). Et plus çà dure, plus Israël devient suspect, y compris dans les opinions publiques européennes. J’entends raisonner dans ma tête la réplique d’un film «Ils ne nous pardonnerons jamais le mal qu’ils nous ont fait». (...) Tu avais choisi la France, elle n’est pas le creuset que tu espérais.  Tout se tend encore une fois, on nous appelle les juifs de France, il y a aussi les musulmans de France, nous voilà mis face à face moi qui m’étais voulue de tous bords, en tout cas du côté de la liberté. J’ai entendu des menaces (...) qu’on criait  «mort aux juifs» et aussi «juif fous le camp, la France n’est pas à toi» (...).»

(...) Il y a deux ans, j’ai demandé à Marie, la femme d’Henri «maintenant que la vie se termine, tu penses qu’on a bien fait de revenir des camps ?». Elle m’a répondu : «Je crois que non, on n’aurait pas dû revenir. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?» Je n’ai pas pu lui donner tort ou raison, j’ai juste dit : «Je ne suis pas loin de penser comme toi». Mais j’espère que si la question m’est posée à mon tour juste avant que je m’en aille, je saurai dire oui, çà valait le coup»
 Daniel Gautheret



Le problème Spinoza (Irvin Yalom)


Philippe ABEL




J'ai été captivé par le roman d'Irvin YALOM intitulé le problème Spinoza. J'ai été amené à la lecture de ce roman suite à une remarque faite par notre ami Bernard MICHOLLET. Selon Bernard, Spinoza figurait, avec Socrate, Bouddha et Jésus, parmi les plus grands hommes qu'ait jamais portés l'Humanité.

J'avais des souvenirs élogieux mais vagues de Spinoza remontant pour l'essentiel à mes années de philo en terminale ( c'est dire si de l'eau a coulé sous les ponts depuis !), avec des allusions glanées ici et là dans mes différentes lectures.

J'ai donc voulu en savoir plus sur l'homme Spinoza et sa pensée. De ce point de vue, le roman d'Irvin YALOM a comblé mes espérances.

L'auteur: M Irvin YALOM

M Irvin YALOM est professeur émérite de psychiatrie à l'Université de Stanford. Il écrit des essais et romans se situant entre la philosophie, la psychologie et la fiction. Entre autres romans à son actif, Nietsche a pleuré ( que j'ai également lu et qui m'a lui aussi passionné), La méthode Schopenhauer, le jardin d'Epicure...

Le problème Spinoza a obtenu le prix des lecteurs du livre de poche.

La trame du roman

La trame du roman est géniale. Elle est construite sur l'histoire parallèle des vies intimes en lien avec la Pensée, d'une part de Baruch Spinoza, le grand philosophe, d'autre part d'Alfred Rosenberg, l'idéologue du national-socialisme.

Baruch Spinoza est un philosophe hollandais d'origine juive né à Amsterdam en 1632 et mort à La Haye en 1677. C'est un érudit qui maîtrisait à la fois le Latin, le Grec, et l'Hébreu.  Cela lui donnait accès à l'ensemble des connaissances de l'Humanité de l'époque. Il est l'auteur de grandes oeuvres philosophiques et spirituelles comme le tractatus theologico- philosophicus, Ethique, Traité de la réforme de l'entendement, Traité Politique.

Baruch Spinoza était juif et promis à un grand avenir au sein de la communauté juive d'Amsterdam. Le grand Rabbin avait repéré l'intelligence exceptionnelle de Spinoza dès l'enfance, et l'avait pressenti comme son successeur. Au lieu de cela, en raison même de la rigueur de sa pensée, Spinoza fut persécuté par l'autorité rabbinique. Refusant de céder aux incohérences de la vision théologique de Rabbins instrumentalisant la religion pour mieux asseoir leur propre pouvoir, il fut condamné à la pire des sanctions chez les juifs: le herem (l'excommunication). Le herem excluait Spinoza de sa  communauté, interdisait à tout juif de lui adresser la parole, et le forçait à rompre avec sa propre famille. Le herem constituait une peine de mort civique pour celui qui déviait du dogme,  incitant à l'assassinat pur et simple, ce qui faillit se produire lorsque Spinoza reçut plusieurs coups de couteau d'un fanatique juif. Le herem condamna donc Spinoza à une vie de philosophe errant, voué à la solitude de sa propre recherche philosophique, éloigné du quartier juif et obligé de polir des verres de lunette pour survivre. Il fut heureusement soutenu jusqu'à la fin de sa vie par la fraternité d'un cercle de philosophes éclairés, adeptes de la Tolérance, et admiratifs de sa puissance intellectuelle.

Il faut la sagacité d'un psychiatre comme Irvin Yalom pour comprendre le cheminement mental tortueux d'Alfred ROSENBERG. Alfred ROSENBERG est né en 1893 et finit pendu de manière infamante en 1946 comme criminel nazi, suite au procès de Nuremberg. Il se « distingua » comme principal théoricien et propagandiste de l'idéologie national-socialiste. A ce titre, il fut l'auteur d'un manuel abscons (aux dires mêmes d'Hitler) qui lui valut le 1er prix littéraire sous le 3ème Reich « Le Mythe du 20 ème siècle », et le rédacteur en chef du journal ( ou devrais-je plutôt dire du torchon) nazi: le Volkischer Beobachter.  Alfred ROSENBERG faisait figure de « pseudo-intellectuel » au milieu de ces brutes épaisses situées dans l'entourage d'Hitler (Goebbels, Goering...) qu'il méprisait, et qui le lui rendaient bien. Il alternait les périodes d'euphorie et de dépression profonde ( il fut plusieurs fois longuement hospitalisé en raison de cette maladie), essentiellement en fonction des signes de reconnaissance ou de désaveu manifestés par son gourou:  Adolf HITLER. Contrairement à la plupart des dignitaires nazis, qui se défaussèrent avec bassesse lors du procès de Nuremberg, il resta le « chien fidèle » d'Hitler du début à la fin, depuis la création du parti national -socialiste des travailleurs allemands, en 1922, jusqu'à sa montée sur l'échafaud, après le suicide d'Hitler, en 1946. 

Comme son mentor, Alfred ROSENBERG était animé d'un anti-sémitisme pathologique et obsessionnel, au point de réduire l'histoire à une « lutte des races juive et aryenne ». Une psychothérapie engagée avec un psychiatre et ami de la famille ne permit pas de le guérir de sa démence. Rosenberg rompit avec fracas avec celui-ci, lorsque le praticien chercha à lui faire toucher du doigt l'inconscient de son antisémitisme, et son ascendance juive par une de ses grands-mères.  Or un point, essentiel pour lui, déstabilisait  la logique  pervertie de Rosenberg: comment le plus grand écrivain allemand, celui qu'il vénérait plus que tout, Goethe, avait-il pu affirmer que Spinoza, un juif (certes excommunié, mais un juif quand même, car le mauvais sang ne ment pas !) était un des plus grands hommes que l'Humanité n'ait jamais porté? D'où le titre du roman: le problème Spinoza.

Les réflexions philosophiques

Pour terminer, quelques pistes de réflexion philosophiques que j'ai retirées de ce roman:

En ce qui concerne Spinoza, l'envie de me plonger dans la profondeur de la Pensée de cet illustre philosophe. Spinoza nous enseigne que la croyance religieuse est sujette aux pathologies les plus graves si elle n'est pas tempérée par la Raison et l'intuition rationnelle. Je tiens le même raisonnement pour les idéologies. Il démontre l'absurdité qui consiste, de la part des manipulateurs de la religion, à rabaisser Dieu à des sentiments humains, avec un pouvoir de punir ou de récompenser. Spinoza incarne, comme d'autres grands hommes et grandes femmes avant et après lui ( dont notre « vénérable maître » Condorcet ), la force inébranlable de la liberté de conscience, face au dogmatisme instrumentalisé par des potentats pour mieux soumettre le peuple.

En ce qui concerne Rosenberg, la preuve que l'antisémitisme, comme le racisme, constituent une maladie fatale pour un individu. Par effet de contagion, elle est susceptible, sous l'influence de certains facteurs économiques et sociaux, de se transformer en épidémie mortifère pour une société  C'est comme tel que ce fléau doit être traité. Il constitue le révélateur de la part d'ombre que nous portons en nous et rejetons sur la figure fantasmée du bouc émissaire incarné par l'autre: le juif, l'arabe, l'étranger... Le racisme et l'antisémitisme ne sont jamais que la manifestation de la haine de l'autre, et, à travers l'autre, de la haine de soi.

Le problème Spinoza: un grand roman, qui ne vous laissera pas indifférents, et que je ne saurai trop vous conseiller.







                                                                                                                                                                   
 Ils sont fous ces bretons !!

« Ils sont fous ces bretons !! » sous titré « Trousse de survie pour découvreurs des Armoriques.» Un livre de Erwan VALLERIE, magnifiquement illustré par NONO. Paru en 2003 réédité en 2009. On me l'a offert pendant mes vacances en Bretagne cet été. Ma femme étant bretonne, nous y retournons tous les étés depuis 42 ans.
Avec un tel titre et ses dessins humoristiques, j'ai d'abord cru à un canular. Mais bien vite j'ai compris le sérieux de l'entreprise. Ce livre s'adresse à tous ceux qui sont mutés en Bretagne  pour raison professionnelle et qui désirent s'y intégrer. Il s'adresse bien sûr aussi aux bretons. C'est un plaidoyer pour la défense de la Bretagne ? Bref j'ai été enchanté par ce livre très documenté, plein d'humour mais finalement très sérieux. Je ne peux résumer 300 pages. Je n'évoquerai que quelques aspects.

1°) Un breton peut en cacher un autre.
Il faut abandonner toute idée sur ce qu'est un vrai breton : le propre d'un breton c'est d'être différent de de son voisin ! Souvent on vous dira : « Ici, ou là bas, ce n'est pas la vraie Bretagne ! Le breton est un mélange de tradition et de modernité, d'identité forte et de cosmopolitanisme : il peut aimer le biniou et le jazz , lire Ouest-France et le Télégramme, râler parce qu'il pleut et râler parce qu'il ne pleut pas.
Il y a deux opinions qu'il ne faut pas exprimer pour ne pas se mettre tout le monde à dos : prétendre que Nantes n'est pas en Bretagne et affirmer que la langue bretonne est un patois qu'il faut éradiquer.
A la question : « Comment dit-on bonjour en breton ? », en 1960 on répondait : « Je vais demander à ma grand-mère » ; en 2003 on répond : « Je vais demander à mon fils ». 70% à 80% des personnes affirment leur attachement à la langue bretonne que la plupart ne connaissent pas .
L'auteur propose un test pour déterminer à quel type de breton on a à faire selon sa coiffure, ses vêtements, ses enfants, son chien, sa voiture, sa maison, son jardin, au bistrot, en vacances, sa conversation, pour savoir si l'on à faire à un breton virulent, un breton chronique, un breton latent, un breton honteux ou un complet oueston.

2°) L'auteur répond aux vieux poncifs sur le temps, la mer, les chemins creux, le folklore, les lits clos, les légendes …
- Sur le temps : le breton n'aime ni le soleil, ni la pluie ; mais il aime que le temps change.  Une journée de soleil est ratée s'il n'y a pas une petite ondée ; une après midi pluvieuse  laissera un excellent souvenir quand vers cinq heures un petit coin de ciel bleu laisse présager un beau coucher de soleil.
- Sur les saisons : les celtes ne connaissaient que deux saisons, l'été et l'hiver. Le printemps commence à la chandeleur (début février), au 1er mai c'est le nouvel été, en juin le milieu de l'été qui s'achève au 31 juillet. Les aoûtiens arrivent au premiers jours de l'automne et n'ont donc pas à se plaindre de la pluie.
- Sur la mer : ce n'est pas un terrain de jeux ; c'est un domaine sacré. Les marées noires ont été vécues comme un péché irrémissible.
- Sur les paysans : le bocage breton a disparu avec le remembrement des années 60 ; l'agriculture s'est industrialisée, la pie-noire bretonne de petite taille a été remplacée par la pie-noire hollandaise.
Voir l'excellent dessin page 93 : Q :«  C'est bien ici la fameuse montagne ? » R :« C'est ton tire-fesses qui te fais dire cela ? »
Une observation pertinente sur l'enseignement de la géographie : « C'est dans les manuels scolaires que les petits français se forgent des autres peuples, proches ou lointains, une image qu'ils gardent toute leur vie. Comme ces manuels ont été rédigés 20 ans plus tôt par des vieux messieurs qui s'économisent en copiant-collant ce qu'ils ont écrit dans leur thèse aux beaux jours de leur fringante jeunesse, le décalage entre le manuel et la réalité peut atteindre  70 ans. Si bien que les français adultes trimballent une vision du monde qui date d'un bon siècle. »
- Sur le folklore : L'auteur tient à faire la distinction entre le folklore qui est la représentation lucrative des traits distinctifs tombés en désuétude et coupés de toute réalité vivante, et les spécificités bretonnes bien vivantes : la langue, la musique, la danse en pleine évolution qui traduisent un vécu authentique.
- Sur les légendes et les mythes essentiels : Il ne faut pas plaisanter avec eux. Ils ne sont pas à interpréter rationnellement, mais ils disent quelque-chose des rapports des bretons avec leur terre, avec leur passé et leur destin. Sur les menhirs, si vous ne les trouvez pas , on vous dira : «  Ils sont allés boire ! » Sur la ville d'Ys, on vous répondra : « Quand Ys sortira des flots, Paris sera engloutie.» Le Roi Arthur était un breton, pas un anglais ! Dans le Graal, l'essentiel est la quête. Importance de l'Ankou, le dieu de la Mort : les bretons sont très familiers avec la mort.

3°) S'y retrouver dans les découpages administratifs, les noms de lieux, de famille, les prénoms
- La Révolution et ses cinq départements bretons n'a pas fait disparaître les anciennes appellations. La Basse-Bretagne, pays bretonnant à l'ouest et la Haute-Bretagne pays gallo à l'est, séparés par un ligne de Paimpol à Vannes. Il n'existe pas de Bretagne profonde. Et restent bien vivants les 9 évêchés de l'Ancien régime : Cornouaille, Léon, Trégor, Vannes, St Brieuc, Nantes, St Malo et Dol. Le découpage des anciens pays est encore vivace avec le pays bigouden, le Porzay, la Cornouaille, le pays de Fouesnant, le pays pagan, le Goëlo, le Penthièvre, le Porhoët, le Poher, le Méné, la Grande Brière et le pays de Retz.
- Le découpage entre bourg, villages et villes : les villes sont uniquement urbaine (agglomération constituée autour des anciens châteaux ou anciennes cités romaines). Le chef-lieu de la commune actuelle c'est le bourg. Les autres hameaux sont des villages. Habiter à Ruffiac c'est habiter au bourg lui-même, habiter en Ruffiac c'est c'est habiter dans un autre village de la commune de Ruffiac.
- La prononciation des noms propres est un véritable sport en Bretagne. Ne pas escamoter les t, les r, les s en fin de mot (Langonet, Plougras, Ploumoguer), sauf exceptions. Le en se pronnonce enne (Pont Aven), mais parfois in (Pencran, Henvic). Le c'h se pronoce k ou rh (Aber Wrac'h, Penmarc'h). Le tz de l'île de Batz se prononce Ba.
- Les prénoms bretons ont été interdits jusqu'à la fin des années 60. Maintenant ils sont largement utilisés, mais attention à ne pas donner un prénom breton à son chien !

4°) Le sacré : De la religion partout, mais une Eglise en retrait, de moins en moins bretonnante, ce qui ne veut pas dire dépourvue d'influence.
- Se rappeler que c'est l'Eglise qui au XXème siècle a animé l'effort de la Bretagne pour sortir de la misère. (La JAC et la révolution agricole, le mouvement coopératif, l'enseignement agricole). L'investissement des chrétiens dans les syndicats et partis (CFDT, PSU, PS) ont arraché la Bretagne à ses nostalgies légitimistes. Attention à ne pas se laisser aller à un anti-calotisme primaire !
- Il y a persistance d'une religiosité diffuse, informelle, qui s'obstine à vivre en dehors des institutions, avec un regain d'intérêt pour les saints, les chapelles, les pèlerinages, les pardons. Plus que de religion, c'est de sacralité qu'il faut parler : le lien des bretons avec leur terre est très fort ; c'est une terre sacrée. Ainsi contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff, vécu comme une véritable profanation, de la pointe du Raz et de la baie des Trépassés, seule la musique sacrée convenait : ainsi chrétiens, païens, druides, francs-maçons, naturistes, linguistes, randonneurs et rats de bibliothèque allaient manifester en chantant des cantiques bretons.
- On compte plus de 600 saints bretons, dont la plupart n'ont jamais été canonisés. Voir le projet actuel en cours de réalisation d'une Vallée des Saints sur la montagne de Karnoët.

5°) La vie quotidienne
Je passe sur la maison bretonne actuelle (toutes pareilles), les cousins à la mode de Bretagne (ça existe toujours), le beurre salé, le kouign-amann (cuit dans un four de boulanger) à manger en petits carrés, les commerçants (qui n'aiment pas vendre : vous ne trouverez pas çà ici!)

6°) Une mentalité particulière : la vraie tête de breton
Le breton est têtu (c'est une question d'honneur, surtout dans l'adversité).
Le breton est un travailleur  borné, mais fidèle (à ses convictions).
Le breton est honnête, jusqu'à la niaiserie et franc jusqu'à la brutalité (le double langage n'est pas apprécié).
Le breton est docile mais susceptible.
Le breton est taciturne et puritain.
Comme l'artichaut : hérissé et coriace à l'extérieur, tendre et savoureux à l'intérieur.
Un dicton gallo : grand disou, petit faisou.

7°) La culture bretonne aujourd'hui
Il y a de tout : du talent et de l'insignifiance, de l'authentique et du faux-semblant, de l'imagination et du suivisme, de l'originalité et du pastiche.
- La musique : elle a failli disparaître entre les deux guerres avec les derniers sonneurs. Sauvée par une entreprise volontariste de jeunes gens qui ont su associer le biniou traditionnel (à un bourdon) à la bombarde et à la cornemuse écossaise à 3 bourdons), et une batterie pour former les premiers bagadou, qui se développèrent après la Libération. Les bretons se sont tout de suite reconnus dans cette expression artistique. Puis furent rajoutés la harpe celtique avec Glenmor et Alan Stivel puis Gilles Servat; et la collecte des chants populaires, des contes, des mélodies de la tradition orale. Aussi le kan ha diskan (chant et contre-chant) révélés par les sœurs Goadec octogénaires à Bobino.
- La danse: sujet de discorde au long des siècles entre le clergé et ses ouailles. Avec mai 1968 et les occupations d'usine naissent les fest noz de soutien pendant les grèves, puis pour défendre d'autres causes (comme les écoles diwan). On assiste à un formidable développement de cette danse moderne qui regroupe tout le monde : blancs, blacks, beurs, autochtones et touristes, jeunes et vieux dans un brassage de générations. Mais dans ce mode d'expression reste toujours une note contestataire et revendicative.
- Les sports : la petite reine (Jean Robic, Louison Bobet, Bernard Hinault) et le ballon rond ( Nantes, Rennes et Guigamp).
- La langue bretonne n'est pas morte. L'auteur dresse un plaidoyer pour le bilinguisme : pour ne pas se condamner à ne pas voir les reliefs, à prendre les mots pour les choses, à s'abonner aux idées reçues, aux mirages des formules creuses, aux schémas préétablis et ne pas être dupes des lieux communs.
- Le breton n'est pas un patois, ni une poussière de dialectes ; il se parle toujours ; il a une grammaire ; le premier dictionnaire imprimé en 1499 était un dictionnaire universel (le catholicon) trilingue en breton, français et latin ; le plus ancien texte connu écrit en breton vers 750 est un traité de médecine ; il est bien antérieur  au premier texte connu écrit en français ( le serment de Strasbourg en 843) ; il a toute sa place dans la République ( pour la petite histoire ; la licence de breton créée à Rennes en 1981 a été rattachée à l'UER de langues et littérature étrangères!)
- Conclusion :          La Bretagne n'est pas une région , c'est un pays.
                        Ce n'est pas grave de ne pas être breton puisqu'on peut le devenir.
Pierre Dussauge le 12 novembre 2015          

vendredi 23 janvier 2015

conférence au Vox du 17 mars 2015



               L’Allemagne, entre admiration et appréhension


Notre grand et puissant voisin a une longue histoire liée à la France. Pour les beaux jours et les moins bons. Quelle ambivalence ! « L’Allemagne des penseurs et des poètes » s’est parfois confondue avec celle des guerriers et des démons. Comment s’y reconnaître dans ce vaste pays à l’unité récente, réalisée par « le fer et le sang », aux frontières si souvent modifiées, à la pensée et à l’Histoire si différentes des nôtres ? Peuple qui «ne craint personne sauf Dieu », peuple en perpétuel devenir, cherchant toujours sa place au sein d’une Europe complexe et incertaine. « La politique d’un pays est dans sa géographie. » disait Napoléon. L’Allemagne est capable de connaître des apogées sublimes pour retomber dans les plus sombres abîmes. Optons plutôt pour la complémentarité de nos deux pays et travaillons en bonne intelligence, dans une relation amicale, mais parfois inégale et déséquilibrée, à faire fructifier cette relation franco-allemande, socle et colonne vertébrale de l’Europe.

mardi 4 novembre 2014

Le commencement d’un monde par Jean-Claude GUILLEBAUD









                                        LIEN POUR VISIONNER LA CONFÉRENCE:

 

 

mardi 5 août 2014

« L’AUTORITE : QU’EST-CE QU’UN CHEF ? »






« L’AUTORITE : QU’EST-CE QU’UN CHEF ? »

par Robert DAMIEN, Professeur Emérite des Universités à Paris Nanterre


RESUME A PARTIR DE PRISES DE NOTES

 CONFERENCE PUBLIQUE CERCLE CONDORCET

BOURG-EN-BRESSE 17 JUIN 2014





Cette Conférence organisée par le Cercle Condorcet de Bourg-en-Bresse avec le conférencier Robert DAMIEN et Gérard IMBERT, a été  relayée pour l'information par la Municipalité de Bourg-en-Bresse à travers son bulletin «C’est à Bourg». Elle a rencontré une grande participation et l’intérêt d’un public nombreux. Par un exposé clair, accessible et cohérent, Robert DAMIEN a étayé son sujet. Il est prétentieux de vouloir écrire un petit résumé à partir de prises de notes. Mais, deux raisons nous incitent à le faire. La première est l’intérêt du sujet exposé, l’acuité de son enjeu social et sociétal complexe, et les approfondissements qu’a suscité l’intervention. La seconde est que le Cercle Condorcet de Bourg-en-Bresse a dans sa pratique coutumière d’apporter dans l’espace social le fruit de ses travaux fondés sur les valeurs humanistes, la raison et la pensée critique.

Ce résumé, nécessairement incomplet, sera utile pour diffuser et aussi «faire mémoire» de la conférence de Robert DAMIEN, grâce à notre site Internet http://lecerclecondorcetdebourgenbresse.blogspot.fr/.

Tous nos travaux sont mis à disposition des citoyens dans l’espace public à travers nos conférences publiques, nos bulletins imprimés et notre site internet. C’est un point important de notre activité à Bourg pour favoriser la citoyenneté, la liberté, la laïcité dans l’ouverture d’esprit attachée aux valeurs des droits de l’homme, à une démocratie vivante et continue qui exclut les extrémismes, les racismes, la xénophobie. 

Dans une société marquée par des bouleversements inédits et une complexité durable, les Cercles Condorcet tentent, à leur petite échelle et sans prétention à détenir la vérité, d’éclairer cette question : comment vivre l’humanisme aujourd’hui ?


Les membres du Cercle Condorcet de Bourg










Introduction

Robert DAMIEN est un homme originaire de notre terroir bressan. Après avoir salué la mémoire de ses amis J.J Coltice et Marc De Antoni, ce dernier parmi les Co-fondateurs du Cercle Condorcet de Bourg, il introduit le sujet de la conférence en soulignant qu’il s’agit d’un sujet délicat  car la question est relative et confondue au pouvoir. Et celui-ci soulève deux problèmes :
            - La jouissance de l’autorité qui porte à la tentation arbitraire.
            - La dérision de l’autorité qui renvoie à l’expression populaire «il se prend pour un chef», donc à la dénégation du chef. Et aussi ce pis aller «je ne suis pas un chef, mais puisqu’il en faut un »...

La démocratie se définirait comme : pas besoin de chef. S’il en faut, comment les limiter, les renverser, car en démocratie, l’autorité peut se récuser.  Ce qui soulève aussi une autre question. De quel droit une personne impose à l’autre d’obéir à un ordre (i.e : l’étymologie «obéir» veut dire écouter)?  Quelle est la légitimité de l’obéissance ? D’où aussi comment la renverser, la contrôler ? C'est un principe qui est fondamental, un invariant sociologique : il n’y a pas de société sans autorité, sans hiérarchie (étymologie : commencement sacré)

Définition

Autorité vient du latin «auctoritas», qui augmente, nous fait grandir, nous élève, nous accroît. L’être humain est un avorton qui est destiné à s’accroître. La finalité, s’est de reconnaître à travers l’autre, le principe que j’accepte d’être «élevé». La mauvaise autorité  c'est celle qui nous  amoindrit, nous abaisse, nous humilie (humus : terre), nous fait «rentrer sous terre», et conduit à la perte de la liberté. Quels sont donc les liens et les lieux par lesquels je deviens plus et mieux, en expansion ?

            Exigences dans l’exercice du rapport à l’autorité

Tout d'abord l’autorité s’exerce en trois temps : le départ, la continuité et l’achèvement. Commencer, inaugurer, donner le départ, entraîner. Puis continuer, jusqu'au bout, à bonne fin, à bon port (aborder). Enfin achever, aller au but ; le chef va jusqu’au bout, mène à la fin. Et la grande difficulté c’est de continuer encore, d’aller jusqu’au bout. Mauvais chef celui qui est incapable de mener jusqu'au bout de ses propres fins.
Trois conditions sont requises dans les qualités d’exercice de l’autorité. La première répond de l’«intelligence instruite», documentée (du latin docere : enseigner), de la compétence.  La seconde est de l’ordre du « discernement » compris dans le sens de l’œil aigu, le moment judicieux, pratiquer la justesse, séparer l’essentiel de l’accessoire. La troisième condition est celle de la «continuité conséquente» : le bon chef veut les conséquences de son choix. Le mauvais chef dit : «J'ai décidé cela mais je n'ai pas voulu çà» . Assumer les conséquences de son choix et donc être capable de réviser ses objectifs. Le mauvais chef ne répond pas de ses choix, il est  «inconséquent». Mais il y a une difficulté à assumer ces trois éléments ensemble ici et maintenant.

            Les réquisits de l’autorité

Un premier réquisit de l’autorité est celui de «l’excentricité centrale» : être dedans et dehors, poursuivre l'unité de synthèse, n’appartenir à personne, ne pas se faire accaparer, circuler dans tout le groupe, parler à toutes les parties sans faire partie d'aucune.

Le second est «la sociabilité dialogique». L'autorité «en soi» n'existe pas. C'est tout un système de relation où l'on est capable de questionner et d'être questionné. L'autorité est toujours à l’épreuve, doit faire ses preuves. Ce n'est pas un « être », mais un « avoir », une action pratique laissant possibilité pour l'autre ; tout chef a un chef ; même le chef suprême est interpellé. Là où l’autre ne peut pas se retirer, il n’y a pas de démocratie. Toute décision doit être soumise à la règle du «répondre de». Toute autorité doit rendre raison publique, accepter la question du « pourquoi ». Le chef doit toujours être en position de répondre de ses décisions, aller jusqu'au bout avec opportunité (opportunitas : mener à bon port).

Le troisième réquisit est celui de la «rationalité stratégique de l'action». Il n'y a pas d'autorité toute seule ; c'est toujours un système de relations. Déterminer les fins, en payer le prix, faire usage de la raison car tout être humain est capable de comprendre. Cela implique un calcul ici et maintenant, compte tenu de la situation, dans le concret (concretus : croître ensemble)

Le quatrième réquisit est celui de «l’est-éthique» ou esthétique. C'est un exercice corporel ;  un chef à la hauteur, çà requiert une tenue, une façon de se mouvoir, qui nous émeut (movere : mettre en action) , nous promeut, nous fait aller plus loin, en toute conscience.     Par un style, une éloquence enthousiasmante, du tonus, de la tonalité, de la bonne tenue. Cela requiert une incarnation ( qui remue la carcasse, qui la domine), un style qui nous met à la hauteur. Le langage de l'autorité est symbolique. Le corps privé devient corps public. Il y a crise de l'autorité quand il n'y a pas de présence. C'est une question de style, de ton éloquent, mais pas grandiloquent, pas technocratique ; c'est une question d'écriture, de littérature ; c'est une question de charisme.

Les matrices de l’autorité

«On ne croît pas sans croire». Il y a des liens et des lieux par lesquels s'est nourri et a profité la pensée occidentale. Ce sont les quatre matrices de l’histoire philosophique occidentale de l’autorité.

           
            La matrice grecque : la magnanimité

Elle  a été abordée par Platon, puis par Aristote qui a posé l’autorité comme la recherche du «bien» et du «vrai», pour faire devenir plus grand les autres. Magnanimité : l'autorité naturelle du grand, qui est à la hauteur du bien, qui irradie et fait devenir grands les autres.
«La prudence est de toutes les vertus la seule qui soit propre à un gouvernant». Cette raison directrice est inspiratrice de la vertu politique du chef, vertueux suprêmement en ce qu’il guide par amitié et justice les autres vers leurs propres fins. Comment dès lors conseiller, guider, conduire ces natures qui échappent à leur finalité ? Quel langage tenir à ces êtres qui introduisent distorsion et désordre dans leur nature, la déforment et se laissent dominer par la matière passionnelle de leur désirs, acquièrent des habitudes et deviennent inaccessibles aux raisonnements ? » (In, «Eloge de l’autorité. Généalogie d’une (dé)raison politique», Robert DAMIEN, Ed. Armand Colin, page 179-180).

            La matrice romaine : l’auctoritas

Liée à la Rome antique,l'«auctoritas» nous renvoie à l'auctor, l'auteur qui nous ex-hausse, nous met à la hauteur, et qui exauce notre souhait de devenir grand. Mais il y eut crise de l'imperium (la puissance). Car l'imperium avait trois sources : la lignée des ancêtres (les patriciens, de pater, le père, membres de l’aristocratie de la Rome antique) ; les sénateurs ( de senex : vieux) qui ont le droit de conseil ( ce sont des « monuments ambulants » car il avertissent -: monere= avertir – ils préviennent d'où nous venons, font mémoire et fonction de rappel) ; et la virtus (= virilité) c-à-d la virilité victorieuse incarnée par le gagnant de la guerre.  Le conflit dans « l'imperium » de la Rome ancienne est résolu par Octave qui prend le nom d'Auguste ( du nom du mois des récoltes, le mois matriciel où la culture prend le pas sur la nature) et s'arroge le droit de « dicter » la parole ( c'est le premier dictateur). Mais dans la suite, les dictateurs se montrent incapables de suivre les « consilii », les conseils.
«Le chef stratège, par son intelligence instruite, dans la douceur d’une érudition préparatrice, éclaire les ombres, arrondit les angles, efface les aspérités brutales des préconisations. Sans édulcoration des rudesses de l’entreprise pratique, il prend le temps de réfléchir face aux choses cachées sans fléchir d’effroi devant ce que son regard délivre de forces manifestes, pour juger (judicium) de son dessein et décider (imperium) en tirant les conséquences. Il se rend docte en écartant l’onctuosité sucrée des flatteurs. Prudent, il met les formes pour mieux tisser les acquisitions de son apprentissage et bien conduire les mises en action ...» (op. cit. page 192)

            La matrice chrétienne

Pas de confiance dans le libre arbitre de l'homme. L'homme est la cause du mal. Par son premier acte, une bêtise peccamineuse , il devient faillible, infidèle et ne peut être le dictateur de la Création. Le souffle vient d'avant, il est en ligne directe avec le texte de Dieu, l'ordre de la Création. Donc, il faut aller chercher une solution hors l’humanité avec Dieu, qui est le souffle premier de la Création. Il faut donc prier. Et ceux qui prient font mourir l’humanité peccamineuse en eux. Le religieux monastique  est le modèle supérieur qui conduit à sortir des limites de la nature humaine. Les moines «eux seuls s’extraient des attractions du désir, des aimantations de l’orgueil, des poussées érotiques de la passion par les  «intendo» majuscules du ravissement eucharistique. Ils vivent ici bas la vie de l’au-delà. ( ...) L’Eglise dès lors infaillible et indéfectible, perpétuelle et universelle incarne le monopole intangible de l’autorité» (op. cit. Page 214).
L'Eglise, institution, est le lieu des liens avec l'absolu divin. Les églises, bâtiments, rassemblent tous les fidèles, commandants et commandés.
Mais le problème survient par la suite, car il y a plusieurs interprétations des textes, plusieurs églises, plusieurs bibles  et textes divins ; quel est le bon, comment discriminer ?   

            La matrice de la rationalité et de la raison                                                                                                                                                                                                                                                               

Après l’apport de la pensée de Dante qui faute de temps n‘a pas été développée, le siècle des Lumières va apporter une évolution essentielle de la pensée avec la rationalité. Elle se rapporte au calcul, au savoir, à la connaissance comme base de l’autorité. La philosophie du siècle des «Lumières» est marquée au départ par la pensée de Descartes qui réintroduira la raison dans la théologie. Ce croisement raison/théologie le conduit à démontrer théologiquement l’existence de Dieu. Par la suite, une crise de la rationalité est portée par la pensée philosophique et métaphysique. C’est Kant avec la «critique de la raison pure» qui va déplacer la raison cartésienne et ouvrir un nouvel espace essentiel : il n’y a pas de science de Dieu. La pensée de Kant décrypte «la raison» en trois points essentiels :

                        - le cogito ou la connaissance qui sont liés au savoir.
                        - la liberté qui s’articule avec la pensée et ses concepts.
                        - le jugement qui implique l’échec, la possibilité de se tromper.

«L’ordre rationnel de la nature en tant qu’elle respecte des lois nécessaires d’enchaînement causal ne vient pas des choses elles-mêmes dont nous ne savons rien et dont nous ne pourrons jamais rien savoir, mais de notre entendement qui constitue l’ordre de la nature : «l’entendement ne puise pas ses lois a priori dans la nature mais les lui prescrit». Pour connaître donc les principes de l’ordre et éviter tout désordre, il suffit d’examiner le fonctionnement de la raison qui en est la seule source. Mais ce faisant, Kant met à jour un paradoxe tragique (...). L’homme poussé par son instinct métaphysique utilise la raison pour répondre aux questions insolubles des fondements premiers de notre confiance rationnelle. Elle déraisonne nécessairement car ni Dieu, ni l’âme, ni la liberté ne peuvent être objet phénoménal d’expérience dans l’espace-temps et échappent à toute catégorisation conceptuelle.  (...) A qui se fier si la raison de l’ordre génère par son propre développement le désordre de la raison ? Pour retrouver confiance elle devra admettre sa limitation. (...)» (op. cit. pages 265-266). 

A travers une critique de la raison pure et de ses dérives dans la déraison, Kant réintroduit que «l’ordre de la foi indémontrable est pourtant nécessaire à la raison pratique (...) Il faut à nouveau sortir de l’ordre de la raison pour fonder un ordre de l’ordre qui assure la confiance en son ordre et légitime son autorité» (op. cit. page 267). Il y a donc une foi rationnelle mais pas de démonstration de Dieu.

Aux apports de Kant, Gaston Bachelard apportera une ouverture fondée sur l’apport des mathématiques, de la loi de la relativité et de la physique newtonienne : pour un même objet de travail, il y a plusieurs vérités, plusieurs rationalités. Bachelard est «le seul philosophe moderne à avoir affronté la question de la pluralité des vérités relatives et des raisons multiples». Ce qui «oblige à construire l’autorité d’un nouvel esprit politique » (op. cit. page 268).

Fort de la mémoire et de l’histoire de l’humanité, le présent nous donne la singularité des apports qui traversent les grandes périodes de la préhistoire à ce début de troisième millénaire. La raison a été explorée par l’homme grâce aux Lumières. Les sciences et la philosophie nous ont éclairés sur le fait que l’homme n’est pas que raison. L’homme est aussi désir, émotion. Et c’est cela qui le met en mouvement. La sensibilité, l’émotion, l’esthétique. Les hommes sont capables de s’aimer ou de se haïr. Ce qui implique une des raisons de la crise de la rationalité.

Cette rationalité est conduite par l’intérêt égoïste du gain. Le calcul froid de l’intérêt. C’est avec cet intérêt qu’il faut construire un ordre social. Des philosophes du XIXème ont proposé une «organisation sociale». De son côté Karl Marx hérite de la théorie de la plus-value de Proudon (ensemble nous produisons plus qu'à la queue leu leu) ; mais il constate que le capitalisme accapare la plus-value. Dans sa critique du capitalisme, il  a été incapable de penser la spécificité de l'Etat et de l’ordre politique – il rêve d’une société sans Etat - et la spécificité religieuse (ce qui relie les hommes entre eux). D'où la tragédie meurtrière du stalinisme.

Aujourd'hui ces quatre matrices - agora et magnanimité, auctoritas et imperium, absolu divin et foi,  rationalité des lumières et croyances - sont toujours présentes et s'interfèrent.

L’heure des vérités et le spectre de Machiavel

Il n’y a pas d’exercice de l’autorité sans la «raison d’Etat». Elle conduit à «faire le sacrifice d’une mutilation et passer sous les fourches caudines du mal nécessaire, de l’injustice féconde pour rétablir l’ordre d’une survie. Le spectre de Machiavel hante toute situation d’urgence et nous rappelle à l’ordre d’une raison d’Etat. Comment la démocratie peut-elle l’affronter sans renier les conditions même de sa légitimité ?(...) La pratique constitutive de l’homme politique qui le sépare du juge, du père, du saint ou du philosophe, c’est le coup d’Etat légitime, c’est à dire la capacité et le devoir d’affronter le moment tragique de l’extrême, assumer l’illégitimité fondatrice de légitimité» (op. cit. pages 430 et 434).
Un homme politique assume l’impopularité au nom de l’ordre supérieur de la nation, par exemple, Martin Luther King, et De Gaulle (sacrifice des harkis). Et des situations concrètes qui obligent parfois au sacrifice  «injuste» d’un seul pour sauver le plus grand nombre....

Pour donner force à son propos, Robert Damien conclut son exposé avec une citation de René CHAR. Elle éclaire l’autorité dans une situation concrète et tragique, un épisode de l’occupation nazie en France, qui place le commandant d’une unité de Résistants devant des SS qui vont fusiller un homme :

            «Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelque cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé ! Nous étions sur les hauteurs dominant Céreste, des armes à faire les buissons et au moins égaux en nombre aux SS. Eux ignorant que nous étions là. Aux yeux qui imploraient partout autour de moi le signal d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête...Le soleil de juin glissait un froid polaire dans mes os.
            Il est tombé comme s’il ne distinguait pas ses bourreaux et si léger, il m’a semblé, que le moindre souffle de vent eût dû le soulever de terre.
            Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix (ndlr : gras en italique dans le texte). Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet ultime instant ?»
Extrait de «Feuillets d’Hypnos», de René CHAR, La Pléïade Gallimard, strophe 138, page 208.

Résumé rédigé à partir de leurs notes par  Pierre Dussauge et Daniel Gautheret
avec la relecture de Marcel Houser






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Quatrième de couverture :

Comment s’exerce l’autorité ? Nous osons poser des questions incorrectes, philosophiquement dangereuses, politiquement inquiétantes. Pourquoi obéir et à qui ? De quel droit et au nom de quoi, quelqu’un peut-il commander à un autre et l’obliger à accomplir ce qu’il ne veut pas nécessairement accomplir de son plein gré ? Nous souhaitons affronter le problème de l’autorité par le biais plus radical d’une interrogation iconoclaste et mortifiante à la fois : pourquoi y-a-t-il des chefs ?
La philosophie au travers de plusieurs matrices de croissance, de confiance, de croyance, en a conçu la raison politique, analysé l’effectivité, critiqué les fâcheuses déviations, pour fonder l’augmentation légitime des êtres humains et féconder leur puissance commune pour atteindre le meilleur. Mais elle a aussi, à l’inverse, participé à la pathologie du chef adulé et divinisé d’une déraison politique. Elle a elle-même été coupable d’une fascination dégradante, entretenant la flamme qui la brûlera. Malheur au peuple qui a besoin...de chefs. Reste à savoir s’il peut s’en passer et lesquels il lui faut, comment les former, comment les remplacer et les contrôler démocratiquement ?

Professeur émérite de philosophie politique et éthique (Paris Ouest Nanterre), Robert Damien est l’auteur de nombreux essais philosophiques et politiques. A travers l’analyse du conflit entre la matrice biblique et al matrice bibliothécaire du savoir et du pouvoir, son travail cherche à construire une philosophie politique du conseil moderne et de l’autorité démocratique

Éditions ARMAND COLIN