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Texte sur la bioéthique. F.Chichoux- Marga


Conférence Cercle CONDORCET

19 octobre 2010

 

INTRODUCTION

La France a été le 1er pays en Europe à se doter d’une législation complète en matière de bioéthique avec les trois 1ères lois de bioéthique adoptées en juillet 1994.

C’est gouverné par le principe de dignité de la personne humaine que s’est inscrite dès le départ la réflexion et la législation sur la bioéthique, principe que le Conseil Constitutionnel a d’ailleurs consacré. Le respect de la dignité de la personne appelle d’autres principes : la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de la vie, l’inviolabilité, l’intégrité et la non patrimonialité du corps, ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine. Principe de non patrimonialité auquel la loi de 1994 a apporté une exception par la possibilité du don d’organes et de gamètes.

Parmi les règles fixées en 94 selon ces principes : l’anonymat et la gratuité du don, l’interdiction des manipulations génétiques susceptibles d’avoir un effet sur la descendance, l’interdiction de la recherche sur l’embryon, l’ouverture de l’aide médicale à la procréation (AMP) aux couples stériles et stables, formés d’un homme et d’une femme, l’interdiction du « double don » de gamètes et l’interdiction du recours à une mère porteuse.

Les principes et les règles posés par le Parlement en 1994 ont été intégralement confirmés 10 ans plus tard quand la loi du 06 août 2004 a été adoptée.

Quelques modifications importantes ont cependant été adoptées en 2004 :

Sans remettre en cause l’interdiction, la possibilité d’autoriser temporairement les recherches sur les embryons surnuméraires. Le législateur espérait alors que l’évolution de la recherche lui permettrait de se prononcer définitivement cinq ans après l’entrée en vigueur de ce régime d’autorisations obligatoires, régime qui cessera d’exister à l’expiration de cette période, sauf nouvelle législation.

Interdiction de toute possibilité de clonage.

Utilisation, à titre exceptionnel, du diagnostic pré implantatoire, qui consiste, après une fécondation in vitro (FIV), à sélectionner les embryons indemnes de l’affection génétique recherchée en vue d’une grossesse.

Assouplissements pour organiser le don d’organes, de tissus ou de cellules à l’intérieur du cercle familial.

Création de l’Agence de Biomédecine.

La loi de 2004 prévoyait, comme en 1994, un réexamen cinq ans après son adoption.

Depuis 2004, aucune recherche n’est venue bouleverser fondamentalement le champ de la bioéthique mais l’approfondissement des techniques existantes et surtout leur diffusion croissante change la dimension du problème. On assiste à un accroissement de la demande sociale pour bénéficier d’actes et de techniques qui ne relèvent plus seulement du soin.

Parmi les questions auxquelles le dispositif législatif en matière de bioéthique doit se confronter aujourd’hui, on peut citer les suivantes :

1°. Des demandes apparaissent pour ouvrir le bénéfice de l’AMP à des couples homosexuels ou à des femmes seules, de légaliser le recours à une mère porteuse. Le désir de devenir parents crée-t-il des droits allant jusqu’à autoriser la conception d’enfants sans père ou le recours à une autre femme au service du projet parental ?

2°. Faut-il permettre de lever, en tout ou partie, l’anonymat du don de gamètes pour répondre à une aspiration des enfants issus de telles conceptions à connaître leurs origines ?

3°. Doit-on autoriser l’accueil d’un embryon surnuméraire par un couple dépourvu de tout lien génétique avec cet embryon ou la conception médicalement assistée d’enfants dont la naissance permettrait d’obtenir des cellules pour tenter de guérir un ainé atteint d’une maladie très grave, ce que l’on appelle les enfants-médicaments ou  les enfants du double espoir ?

4°. L’essor formidable des tests génétiques met à la disposition de public de multiples données : informations sur les caractéristiques de l’enfant à naître, données indiquant des prédispositions éventuelles à certaines maladies, révélations plus ou moins fiables sur la filiation, etc. ? Que faire pour respecter le droit de l’information des citoyens tout en prévenant les risques de dérives liées au mauvais usage de celle-ci ?

5°. Les débats scientifiques se poursuivent sur l’utilité comparée des recherches sur les cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches adultes. Comment choisir entre la nécessaire protection de la personne humaine dès le commencement de la vie et l’espoir, même incertain, de pouvoir soulager un jour des souffrances ?

6°. Faut-il dépénaliser l’euthanasie ?

La nouvelle loi aurait du être inscrite à une des sessions parlementaires de 2010. Nous sommes en octobre, il était question qu’elle le soit à la session d’automne parce qu’il y a urgence : si on ne légifère pas, la période d’autorisation de 5 ans accordée pour certains projets de recherche sur les embryons surnuméraires s’achèvera. La loi devrait entrer en vigueur en 2011.

Si j’avais voulu aborder toutes ces questions, il m’aurait fallu au moins 3 heures de temps de parole, ou alors je pouvais choisir de faire un vaste catalogue pour passer en revue tout ce qui est discuté dans la loi. Ce n’est pas cette option que j’ai retenue : j’ai trouvé plus intéressant de développer trois points en passant en revue les arguments éthiques en faveur ou non de l’évolution de la loi, ce qui me semblait plus intéressant pour enrichir la réflexion des uns et des autres. L’intervention sera donc articulée en trois parties qui sont les suivantes :

1°. Faut-il élargir les conditions d’accès à l’AMP ?

2°. Faut-il permettre l’accès à la GPA ?

3°. Quels sont les problèmes éthiques soulevés par le diagnostic anténatal (DAN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) ? Un encadrement plus restrictif de la loi permettrait-il de faciliter certains de ces problèmes ?

J’ai retenu ces points parce qu’en tant que sage-femme, je me sentais plus d’aisance pour parler de ces questions qui ont trait à la périnatalité. Et puis parce que ces questions éthiques ne font pas appel à des connaissances de spécialistes : chaque citoyen peut se sentir concerné et est susceptible d’intervenir dans ce débat. Bien sûr, pour ceux qui seront frustrés, il sera possible d’aborder dans le débat qui suivra d’autres sujets. Et d’autant plus qu’il y a d’autres personnes dans la salle pour étayer certains thèmes qui me sont personnellement moins familiers.

Pour préparer cette conférence, je me suis appuyée sur le rapport du Conseil d’Etat qui date de 2009 et le rapport fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique de janvier 2010  qui était piloté par Jean Léonetti. J’ai aussi consulté les conclusions des états généraux de la bioéthique, grande consultation nationale et citoyenne qui a eu lieu entre 2008 et 2009 et dont le rapport final est paru en juillet 2009. Mais également les avis du Comité Consultatif National d’Ethique sur ces sujets, dont toutes les références pourront vous être données à la fin.



 

FAUT-IL ELARGIR ET ADAPTER LES CONDITIONS D’ACCES A L’AMP ?

1°. L’encadrement actuel ou l’AMP comme réponse médicale à un problème médical

L’AMP désigne l’ensemble des « pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel. »

L’ensemble des règles applicables à l’AMP a été introduit dans le CSP par la loi de 1994. Elles font référence à des principes présents dans le Code Civil, relatifs à la primauté de la personne parmi lesquels : primauté de la personne, respect de l’être humain dès le commencement de la vie, respect du corps, par son inviolabilité et sa non patrimonialité, étendue à ses éléments et produits, nullité de toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour compte d’autrui, anonymat des dons d’éléments du corps humain.

D’après le CSP, l’AMP ne peut avoir que deux finalités :

Remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ;

Eviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.

Les bénéficiaires en sont :

Les couples formés d’un homme et d’une femme

Mariés ou apportant la preuve d’une vie commune d’au moins 2 ans

Vivants et en âge de procréer.

Autres conditions :

La conception in vitro doit se faire avec les gamètes d’au moins l’un des 2 membres du couple, le « double don » de gamètes étant interdit.

Tout don est anonyme et gratuit.

En pratique, l’AMP a été relativement stable ces dernières années : près de 120 000 tentatives par an (2006), dans la très grande majorité des cas avec les gamètes des 2 membres du couple. Dans seulement 6% des cas, la procréation a eu lieu avec un don de sperme, ce qui aboutit à la naissance d’environ 1122 enfants, et dans 1% des cas, grâce à un don d’ovocytes, soit 106 enfants.

Les tentatives d’AMP aboutissent à la naissance de 20 000  enfants par an en France, soit 2.5% des naissances. Les chances de grossesse sont d’environ 25% et les risques de grossesses multiples supérieurs à 20%. Le nombre d’embryons congelés était de 176 000 au 31/12/2006. Il semble qu’un peu plus de 20% de ces embryons ne fassent plus l’objet d’un projet parental. La loi prévoit qu’après un délai de 5 ans, ces embryons, après consentement du couple, peuvent être accueillis par un autre couple, cédés à la recherche ou détruits.

Ces conditions d’accès à l’AMP sont jugés par certains comme trop strictes, voire obsolètes. Les demandes portent sur les dispositions de la loi relatives à la stabilité du couple, à l’âge de procréer, à la possibilité d’autoriser la procréation après la mort et à l’accès à l’AMP pour les femmes seules et les couples de même sexe.

2°. La condition de stabilité du couple

En écartant les interrogations portant sur le bien fondé de ce critère, cette disposition soulève certaines difficultés pour les praticiens qui sont tenus de la vérifier. Les équipes se fondent aujourd’hui sur des documents de nature diverse (une facture, un contrat de bail ou un certificat de concubinage) en se montrant plus ou moins exigeantes. En l’absence de document officiel permettant de prouver l’existence de cette condition, le principe qui prévaut est celui de la liberté de la preuve, preuves qui n’ont pour la plupart aucune valeur juridique. Ainsi très souvent l’attitude des équipes médicales est fondée sur la confiance estimant, et je cite le Pr Jean-François Guérin, responsable de l’unité de médecine de la reproduction à Lyon, « qu’il ne leur revient pas de diligenter une enquête pour vérifier qu’un couple qui se prétend stable vit bien ensemble depuis 2 ans. » Certes, on s’accordera à penser que l’exigence d’une réflexion minimale ou d’une vie commune d’une certaine durée comme préalable à ce projet de grossesse est tout à fait légitime, mais le respect d’une obligation aussi précise est difficile à vérifier.

Ainsi, s’il est décidé de maintenir cette disposition d’une durée minimale de vie commune, le Conseil d’Etat comme le rapport Léonetti suggèrent que soient précisés les critères ou documents à présenter pour aider les équipes médicales dans leur décision.

Cette durée minimale de vie commune est justifiée médicalement par la nécessité d’un temps suffisamment long pour évoquer chez un couple une difficulté à procréer. De plus, ces dispositions peuvent être entendues comme visant à protéger l’enfant, en veillant à ce qu’il soit accueilli par un couple aussi stable que possible. Or la durée de 2 ans de vie commune n’est pas requise dans le cas de couples mariés. Le législateur a sans doute considéré que cette garantie de stabilité était plus assurée en cas de mariage, ce qui reste à prouver…. Pour beaucoup, cette distinction entre couples mariés dont la stabilité est présumée et couples non mariés qui doivent faire la preuve d’une vie commune est jugée discriminante pour ces derniers, voire pénalisante quand on sait que l’âge de la femme est un facteur important de succès de l’AMP : plus on attend, moins on a de chances de succès. Ces dispositions pourraient donc être assouplies. Le Conseil d’Etat a jugé préférable de conserver dans la loi le principe d’une période minimale de 2 ans de vie commune. Mais il suggère en outre de ne plus faire de différence entre les couples pacsés et les couples mariés. Suggestion que le rapport Léonetti reprend et complète par la proposition d’ouvrir des exceptions à cette durée minimale pour raisons médicales ou d’âge.

3°. L’âge de procréer :

Cette disposition avait été maintenue en 2004 pour éviter que des femmes ménopausées aient recours à l’AMP, crainte qui n’a rien d’hypothétique puisqu’en effet des femmes d’un âge avancé ont pu être enceintes grâce à un don d’ovocytes. Cette condition s’est traduite, sur un plan pratique, par une décision des caisses d’Assurance Maladie, de ne plus prendre en charge les FIV après 43 ans. Pour les hommes, les équipes médicales ne prennent pas en charge les couples dont l’homme a plus de 60 ans et les CECOS ont également limité l’âge des donneurs de sperme à 45 ans.

Les dispositions de la loi réservant l’accès à l’AMP aux personnes en âge de procréer soulèvent plusieurs questions :

Tout d’abord, il faut prendre en considération le fait que les progrès de la science permettent d’accroitre l’espérance et la qualité de vie et ainsi l’âge de procréation pour les hommes et les femmes.

De plus, il incombe aux équipes médicales d’apprécier si les couples sont ou non en âge de procréer, ce qui peut entrainer des inégalités de traitement entre les couples.

Fixer un âge limite ne permet pas de prendre en compte les différences clinico-biologiques individuelles. La discussion des indications d’AMP relève donc d’une décision au cas par cas, mais qui peut être très subjective.

Cette limite de prise en charge de ces couples serait à l’origine d’un tourisme procréatif, les femmes se rendant à l’étranger, notamment en Espagne, pour bénéficier d’un don d’ovocytes.

Il convient cependant de rappeler qu’après 42 ans, les taux de grossesses s’effondrent et que les taux de complications obstétricales et générales augmentent. Repousser l’âge à partir duquel il est possible de recourir à l’AMP pourrait induire une pression accrue sur les dons d’ovocytes. Ne peut-on y voir un risque de dérive de l’AMP vers des indications sociales, alors qu’elle est considérée jusque là comme un traitement palliatif à une infertilité pathologique. Le Conseil d’Etat comme le rapport Léonetti estime « par conséquent que repousser la limite d’âge à partir de laquelle les actes de FIV sont pris en charge ne renvoie à aucune nécessité, serait source d’illusions pour les femmes et constituerait une prise de risque inutile pour leur santé. »

4°. Procréer par delà la mort ?

D’après la législation en vigueur, l’accès à l’AMP est autorisé lorsque l’homme et la femme formant le couple sont vivants, le décès d’un des membres du couple faisant obstacle à l’insémination ou au transfert d’embryons. Nous allons cependant distinguer deux situations : l’insémination post mortem et le transfert d’embryons post mortem.

L’insémination post mortem

Nous sommes face à des couples qui, face à une maladie grave, ont recours à l’autoconservation de spermatozoïdes. Certaines femmes, dans la douleur de la disparition de leur conjoint, demandent ensuite une insémination avec le sperme de leur conjoint décédé.

Cependant l’insémination post mortem soulève un certain nombre d’objections éthiques :

En premier lieu, le consentement libre et éclairé constitue l’un des principes fondamental des lois de bioéthique. Qu’en est-il du consentement d’une personne défunte ? Peut-on disposer des éléments du corps des morts ?

En second lieu, la conception délibérée d’un enfant avec les gamètes d’un mort est-elle conforme aux intérêts de l’enfant ? En d’autres termes, doit-on mobiliser le concours de la médecine et de la sécurité sociale pour concevoir des enfants sans père ? Doit-on faire endosser à la société la responsabilité de permettre la conception délibérée d’un enfant orphelin ?

Et une fois l’insémination post mortem autorisé, faudrait-il ensuite envisager l’accès à l’AMP de femmes seules ? avec l’insémination post mortem, n’est–on pas en train de franchir une limite, celle de la différence entre le vivant et le mort ?

Nombreuses sont les voix qui aujourd’hui s’élèvent pour maintenir l’interdiction de l’insémination post mortem.

Le transfert d’embryons post mortem

Il n’en est pas de même pour le transfert d’embryons post mortem. Il s’agit là de permettre l’implantation, après le décès du conjoint, d’un embryon congelé, ayant déjà été conçu dans le cadre d’une AMP avant le décès.

Certaines réserves vues précédemment avec l’insémination post mortem sont communes au transfert post mortem. Et de plus, on est en train de redouter que la possibilité de transfert post mortem entraine une augmentation des demandes de FIV ante mortem. En effet, les spécialistes des CECOS décrivent l’attitude de ces couples, très nombreux, qui face à une maladie grave, ont recours à l’auto conservation de spermatozoïdes. L’autorisation du transfert post mortem ne susciterait-elle pas des demandes de FIV ante mortem ?

Mais il existe cependant des différences fondamentales sur le plan éthique entre insémination et transfert post mortem.

En premier lieu, dans le cas du transfert, l’enfant a été conçu par AMP dans le cadre d’un projet parental, qui a été rompu par le décès brutal du conjoint mais qui existait bel et bien et résultait d’une volonté exprimée par les deux membres du couple.

De plus, la disparition de l’homme ne fait pas disparaitre les droits que la femme peut avoir sur ces embryons. Il semble extrêmement difficile sur un plan éthique que l’on puisse faire obstacle à la mère d’avoir un enfant du père décédé, position qu’avait d’ailleurs fait valoir le CCNE dans son avis N°40 (décembre 93). Il semblerait raisonnable qu’un certain délai soit observé après le décès du conjoint pour que la mère soit en mesure de prendre une décision éclairée et autonome.

Ainsi, lorsque le décès du conjoint vient interrompre un projet parental déjà engagé et devant aboutir dans un bref délai à la naissance d’un enfant, il semble éthiquement concevable d’envisager le transfert d’embryons post mortem.

5°. Convient-il de répondre à l’infertilité sociale ou en d’autres termes permettre l’accès à l’AMP aux femmes seules et aux couples de même sexe ?

Les femmes seules

En Belgique, au Danemark, en Espagne, aux Pays Bas et au Royaume Uni, les femmes seules ainsi que les couples homosexuels féminins peuvent bénéficier d’une AMP. Et en France, de plus en plus de voix s’élèvent pour que l’accès à ces techniques soit ouvert à toute femme en âge de procréer, quelque soit sa situation conjugale. Il est vrai que cette demande a évolué ces dernières années : d’une demande de type féministe visant à faire un enfant sans homme, on est passé à une demande de femmes sans conjoint qui regrettent de ne pas avoir trouvé le partenaire idéal avec qui avoir un enfant et qui sont confrontées à leur horloge biologique. Donc elles souhaiteraient inverser l’ordre d’entrée en conjugalité et en parenté.

De plus, il convient de rappeler que les femmes célibataires ont la possibilité d’adopter et que les familles monoparentales représentent une part croissante des foyers français.

Certains vont même jusqu’à considérer qu’interdire l’accès à l’AMP pour les femmes célibataires et l’admettre pour les couples de concubins est du point de vue des femmes très contestable : le concubinage n’a aucune portée juridique. Et d’ailleurs n’importe quel partenaire pourrait jouer ce rôle !

Mais ces arguments sont cependant contestables :

Tout d’abord le fait que d’autres pays autorisent l’accès à l’AMP aux femmes seules et aux couples de même sexe n’implique pas nécessairement que la France doive s’aligner sur les législations européennes.

De plus mettre en parallèle la possibilité d’adopter pour les femmes célibataires et l’accès à l’AMP est un raccourci hasardeux : en effet, il y a une différence fondamentale entre ces deux modes d’accès à la parentalité. L’adoption c’est le fait de donner des parents à un enfant qui est déjà et qui a été abandonné. Il y a là une logique de réparation des accidents de la vie. Avec l’AMP, il s’agit d’aider un couple infertile à avoir un enfant, prendre la décision de concevoir un enfant et la responsabilité de la société est de veiller à lui offrir ce qu’elle considère être les meilleures conditions possibles pour sa venue au monde.

Et puis il faut envisager toute la portée de cette possible autorisation : en premier lieu le nécessaire recours aux dons de gamètes avec toutes les questions que cela suscite liées à la manière dont l’anonymat du donneur sera vécu par les enfants en l’absence de référent paternel. En second lieu, l’accès à ces techniques par des femmes célibataires risquerait de faire de l’AMP un mode de procréation en dehors de toute justification médicale. Et vous voyez bien comme l’on fait dériver l’objet de départ qui était de répondre à une infertilité pathologique vers une réponse à une stérilité sociale. N’est-on pas en train d’ouvrir la voie à des AMP « de convenance » ? Est-ce la vocation de la médecine que de répondre à des désirs individuels ?

En outre, un élargissement de l’accès à l’AMP aux femmes seules impliquerait la possibilité pour les femmes homosexuelles de bénéficier de ces techniques. Faudra-t-il dans ce cas autoriser ensuite le recours à la GPA pour les couples d’hommes, par respect du principe de non discrimination ?

Certains scientifiques dont Claude Sureau proposent que l’accès à l’AMP soit possible pour les femmes célibataires infertiles ? Mais comment constater médicalement l’infertilité pathologique d’une femme qui n’a pas de partenaire ?

Le rapport Léonetti comme le Conseil d’Etat considèrent, au vu de ces arguments, qu’il ne faut pas élargir l’accès à l’AMP aux femmes célibataires. Mais cela reste cependant une question très débattue, avec un certain nombre de membres de la mission parlementaire qui se prononcent en faveur de cet élargissement.

Les couples de même sexe

En faveur de la reconnaissance de ce droit aux couples de même sexe :

Le fait que la Belgique, le Danemark, l’Espagne, le Canada, les Pays Bas et le Royaume Uni leur reconnaissent ce droit.

De plus, selon l’INED, on estime entre 24 000 et 40 000 le nombre d’enfants qui vivraient actuellement dans un foyer composé de deux adultes de même sexe, soit vivant en coparentalité, c’est-à-dire un homosexuel et une homosexuelle qui s’entendent pour concevoir et élever ensemble un enfant, soit des couples de femmes qui font appel à un donneur de leur entourage et procréent par insémination que l’on pourrait qualifier d’artisanale.

Enfin, en faveur de la reconnaissance, les nombreuses études qui attestent de l’absence de conséquences néfastes sur le développement psychique de l’enfant le fait d’avoir été élevé par un couple de même sexe. Beaucoup estiment même que la situation actuelle s’apparente à une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Contre la reconnaissance de ce droit aux couples homosexuels :

Tout d’abord des psychanalystes estiment que l’enfant naît de l’union d’une femme et d’un homme sur le plan biologique mais aussi psychique.

Concernant le parallèle avec l’adoption, comme pour les femmes seules, la question de l’adoption pour des personnes homosexuelles est fondamentalement différente de celle de l’accès à l’AMP.

Concernant la question de la discrimination, considérons la loi de 2008 qui définit la discrimination : « situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’un autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. » Peut-on considérer comme comparable, en termes de procréation, la situation d’un homme et d’une femme d’une part et d’un couple de même sexe d’autre part ? Comment alors évoquer une discrimination ?

En outre, il est à craindre que l’accès à l’AMP aux couples de même sexe n’entraine la légalisation de la GPA.

Enfin cet élargissement entrainerait une augmentation du nombre de procréations assistées avec tiers donneur avec toutes les difficultés, déjà évoquées précédemment, de certains enfants du fait de l’anonymat du donneur et de l’absence de référent paternel.

Et en conclusion sur ce point, nombreux sont les avis qui considèrent que cette question ne peut être traitée dans le seul cadre de la loi de bioéthique parce qu’elle bouleverse  l’établissement du lien de filiation. Un consensus semble se dégager, estimant nécessaire de maintenir les dispositions de la loi réservant aux couples composés d’un homme et d’une femme la possibilité de recourir à l’AMP.



 

FAUT-IL LEGALISER LA GESTATION POUR AUTRUI ?

Les expressions de « gestation pour autrui » ou « procréation pour autrui » ont longtemps coexisté avec d’autres, avant le vote des 1ères lois de bioéthique, comme celles de « mère porteuse » ou « maternité de substitution. » Les 1ères initiatives organisées de maternités de substitution sont apparues en France dans les années 80, à une époque où l’on ne pratiquait pas la FIV. Organisées par deux associations qui mettaient en relation des couples infertiles et des femmes susceptibles, après insémination par le sperme du conjoint, de mener à bien la grossesse et de remettre l’enfant à la naissance. La mère porteuse était à la fois génitrice et gestatrice et la technique ne nécessitait pas d’intervention médicale. Ces associations ont été interdites, sans que cette interdiction mette fin à des arrangements clandestins entre des couples et des mères porteuses. La pratique a cependant été fortement remise en cause par un arrêt de l’assemblée plénière de la cours de cassation du 31 mars 1991 et le législateur de 1994 a ensuite sanctionné pénalement le fait de s’entremettre entre un couple désireux d’accueillir un enfant et une mère porteuse (article 227-12 du Code Pénal).

Avec l’arrivée de la FIV, il est devenu possible techniquement de proposer à des couples dont la femme est dépourvue de fonction utérine (à la suite d’une malformation congénitale ou d’une hystérectomie) de réaliser une FIV avec leurs propres gamètes, puis de transférer l’embryon obtenu dans l’utérus d’une autre femme qui n’est que gestatrice. Il est même possible de combiner cette technique avec un don d’ovocytes, il y a alors trois femmes qui interviennent dans le processus de procréation : la mère génétique (donneuse d’ovocytes), la gestatrice et la mère d’intention. Il est même envisageable, grâce à un don de sperme, que l’enfant n’ait, in fine, aucun lien génétique avec l’homme et la femme destinés à devenir ses parents.

En 2004, au moment de la révision des 1ères lois de bioéthique, la question n’a pas fait l’objet de débats. Mais elle a toutefois ressurgi ces dernières années. Cette résurgence s’explique, dans une perspective médicale, par la faculté qu’elle offre à des couples infertiles d’obtenir des enfants issus de leurs propres gamètes en combinant la GPA avec une FIV. Il existe une demande spécifique de la part de femmes dont l’infertilité est liée à une malformation congénitale (syndrome de Rokitansky-Küster), à une intervention chirurgicale suite à un cancer ou à une hémorragie de la délivrance, ou à une exposition in utero au Distilbène. Si le nombre de femmes concernées parait peu élevé, leur situation devrait, selon une partie du corps médical et d’autres partisans qui s’expriment sur le sujet, être prise en compte au cas par cas, à titre d’exception à une prohibition de la GPA. Le contexte international n’est pas indifférent à cette résurgence. En Europe, la GPA, interdite en Allemagne, Autriche, Italie, Suisse et Espagne, est tolérée en Belgique, au Danemark et aux Pays Bas et réglementée en Grande Bretagne et en Grèce.

En outre, avec la liberté de circulation, se développe ce que l’on appelle un « baby business » permettant à des couples français d’obtenir dans certains états des USA mais aussi dans des pays comme l’Ukraine ou l’Inde, dans des cliniques spécialisées, une FIV suivie d’une GPA. Lorsque ces couples reviennent en France avec des enfants ainsi conçus, de délicats problèmes se posent pour établir la filiation de ceux-ci.

1°. Arguments plaidant en faveur du maintien de la législation actuelle interdisant la GPA :

La GPA ferait fi des liens qui s’élaborent entre la femme enceinte et le fœtus pendant la durée de la grossesse, qui constituent les éléments d’un attachement précoce. Cette négation de l’influence de la grossesse fait redouter des conséquences dommageables pour l’enfant et pour les parents d’intention. On peut en effet s’interroger sur ce qui persistera en lui de cette période de gestation. On est en droit de s’interroger aussi sur la prééminence reconnue à l’intérêt du couple qui peut l’emporter sur le souci d’assurer à l’enfant une histoire et une lignée qui l’aideront à se construire. Il en est de même de l’intérêt de la gestatrice, prise entre deux écueils : d’une part vivre pleinement sa grossesse avec une probabilité d’attachement à l’enfant et donc de séparation douloureuse après l’accouchement, d’autre part devoir se forcer à un détachement dès le début de la grossesse, processus dont on ignore les conséquences pour elle et l’enfant.

Les risques physiques qu’entrainent pour la gestatrice la grossesse et l’accouchement, ceux-ci pour satisfaire le désir d’autrui. Le droit français n’admet à cet égard les atteintes à l’intégrité physique au bénéfice d’autrui qu’à titre exceptionnel et pour des raisons d’ordre thérapeutique : cas des dons d’organes à partir de donneurs vivants. Les risques médicaux y compris vitaux, encourus par la femme enceinte et l’enfant lors de la GPA sont réels et ceci d’autant plus qu’il s’agit de FIV avec transfert de plusieurs embryons (risque de grossesse multiple, prématurité, césarienne, hémorragie de la délivrance). Comment s’établit alors la responsabilité respective des deux parties en présence ?

Risque d’instrumentalisation et de marchandisation : la perspective d’une indemnisation, même raisonnable et contrôlée, ne rend-elle pas illusoire la liberté de consentement et ne risque-t-elle pas de faire de l’enfant un objet de commerce ? De plus, l’intérêt légitime que portent les parents d’intention à cette grossesse ne peut-elle pas constituer une atteinte à l’autonomie de la mère porteuse, à sa vie privée et au droit exclusif que lui donne la loi de prendre toutes les décisions relatives à sa grossesse, y compris celui de l’interrompre dans les limites fixées par la loi ?

Enfin la mise à disposition d’un utérus d’une autre femme au service d’un projet parental apparait à certains comme radicalement contraire au principe de respect de la dignité de la personne humaine de la personne humaine.

Avec l’AMP, on avait déjà affaire à la dissociation entre relations sexuelles et procréation, avec les FIV entre fécondation et implantation, avec les dons de gamètes entre génétique et parenté. Avec la gestation pour autrui, on atteindrait là le degré ultime de passage de la nature à la technique et ceci réaliserait une rupture anthropologique majeure.

2°. Arguments plaidant en faveur d’une autorisation de la GPA

Ces arguments sont en faveur d’une solidarité nécessaire que doit la société vis-à-vis des femmes atteintes d’une infertilité utérine. Elle touche des femmes qui « ont tout pour être mère » sauf l’utérus, tandis que celles qui n’ont pas d’ovaires mais ont encore un utérus peuvent bénéficier d’un don d’ovocytes, et que les femmes dont le conjoint est infertile, peuvent bénéficier d’un don de sperme. Cela concerne la plupart du temps des femmes à qui l’on a enlevé l’utérus à la suite d’un cancer ou après une hémorragie de la délivrance. La seule solution qui leur reste est la GPA, interdite en France et réservée à des couples qui ont les moyens de se rendre à l’étranger, ce qui génère une discrimination en fonction de la situation matérielle.

La légalisation partielle de la GPA donnerait à ces couples un cadre autorisé et sécurisé pour une GPA et serait donc de nature à limiter les pratiques clandestines, l’exploitation des femmes les plus défavorisées et à en maitriser les risques.

Sur le plan des principes, les partisans de la libéralisation de la GPA sous conditions opposent, au respect de la dignité, celui de la liberté individuelle, y compris celle de femmes volontaires pour porter l’enfant d’autrui et animées d’une authentique motivation altruiste.

Ces mêmes tenants d’une libéralisation de la GPA suggèrent que l’on pourrait donc être favorable à une légalisation limitée de la GPA, dans le cadre de la médecine de la reproduction, sous le contrôle de comités spécialisés, comme cela fonctionne pour le DAN ou les dons intra-familiaux d’organes entre donneurs vivants qui ne donnent lieu à aucune dérive.

3°. Ce qu’en dit le rapport du Conseil d’Etat

Pour le Conseil d’Etat, « la prise en considération de l’intérêt de l’enfant et de la mère porteuse, principes fondamentaux qui sous-tendent l’interdiction actuelle, conduisent donc à recommander de ne pas légaliser la GPA. »

De plus, sur un plan juridique, les principes qui fondent l’interdiction de la GPA sont forts :

L’indisponibilité de l’état des personnes : la qualité de père et de mère d’un enfant ne saurait se déduire des termes d’un contrat.

Second fondement, le principe d’indisponibilité de corps humain qui rend illicite toute convention sur le corps humain (ou ses éléments) que ce soit en vue d’un prêt, d’une location ou d’un don, même si le législateur a aménagé des exceptions : don de sang, d’organes, d’ovocytes, de tissus…)

Le Conseil d’Etat voit aussi le risque de dérives d’une autorisation de la GPA pour raisons médicales : n’y a-t-il pas le risque d’un glissement vers une pratique de convenance pour des femmes qui trouveraient préférable de faire porter leur enfant par une autre ?

4°. Dans le rapport final des EG de la bioéthique

Les citoyens se sont prononcés, dans leur avis, unanimement contre la légalisation en France de la GPA, en raison essentiellement des effets conjugués de cette pratique : marchandisation, instrumentalisation du corps de la mère porteuse. Ils ont estimé « plus important de protéger l’enfant et la mère porteuse que de satisfaire un désir de filiation biologique. »

En conséquence, les citoyens se prononcent contre l’accès des couples homosexuels à l’AMP :

D’abord parce qu’ils considèrent que l’AMP intervient comme un traitement palliatif à l’infertilité naturelle ;

Ensuite parce qu’ils considèrent que par un effet « domino », l’ouverture de l’AMP aux couples de lesbiennes, entrainerait une demande légitime des gays, au nom du principe de non discrimination, de recourir à la GPA.

5°. Rapport Léonetti

Pour la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, l’interdiction est nécessaire car protectrice :

Des risques physiques ou psychologiques qu’elle implique de faire prendre à des tiers. S’il est vrai que certains de ces risques, et notamment les plus graves, sont statistiquement limités, est-il cependant éthiquement acceptable, alors qu’aucun intérêt vital, ou thérapeutique, n’est en jeu, contrairement par exemple aux dons d’organes, de faire prendre à une personne en bonne santé de multiples risques, y compris celui de mourir pour autrui ?

Du risque d’aliénation et de marchandisation du corps humain, à travers l’exploitation des femmes les plus vulnérables.

Enfin, il apparait pratiquement impossible de définir un encadrement apte à garantir l’absence de dérives.

Le parallèle établi parfois entre la GPA et l’adoption peut sembler erroné dans la mesure où l’adoption est instituée dans l’intérêt de l’enfant pour pallier à un accident de la vie tandis que la GPA impose, d’une certaine manière, cet accident de la vie à un enfant. Pierre Lévy-Soussan, psychanalyste, parle ainsi de la rupture imposée : « il ne s’agit pas d’un abandon, qui est la moins mauvaise solution décidée par une mère dans une histoire psychique compliquée, mais d’une rupture programmée, délibérée de ce que l’enfant a vécu pendant la grossesse. »

6°. Pour le CCNE

En dépit des arguments en faveur de la légalisation de la GPA, le CCNE se prononce contre, arguant qu’une légalisation, même limitée, laisse subsister des difficultés d’ordre éthique qui sont de 6 ordres :

« Une loi n’empêchera pas les risques qu’elle vise à prévenir. » En effet, ni les accidents médicaux, ni les inconvénients d’ordre psychologiques ne pourraient être totalement évités. « la mortalité maternelle (…) n’est-elle pas encore plus insupportable lorsqu’elle survient au décours d’une grossesse au bénéfice d’autrui. »

Il est à craindre aussi des tentations de pression ou de chantage de la part des parents d’intention.

De plus, l’expérience de la Grande Bretagne montre que l’existence d’un système légal et sécurisé de la GPA n’a pas mis fin à des formes clandestines non médicalisées.

Pour le CCNE, « le fait pour un couple de vouloir avoir un enfant qui soit génétiquement celui de ses parents n’a rien en soi de contraire à l’éthique. Ce sont les conséquences extrêmes qui en découlent lorsque les couples ont recours à une GPA qui est problématique. Selon le CCNE, ce désir ou besoin légitime ne peut suffire à justifier une GPA. »

« La GPA ne peut être éthiquement acceptable du seul fait qu’elle s’inscrirait dans un cadre médical. » En effet, certains souhaiteraient que soient apportées à l’interdiction actuelle des dérogations sur des motifs d’ordre médical. Mais pour le CCNE, cette « GPA sur ordonnance » n’atténue pas les objections éthiques que suscite le fait qu’une femme mette son corps au service d’un couple pour permettre la réalisation du projet parental.

Si les principes fondateurs des lois actuelles de bioéthique, notamment la dignité de la personne humaine, la primauté de l’intérêt de l’enfant et la non commercialité du corps, comportent trop d’exceptions, ils se vident de leur substance et n’ont plus lieu d’être.

« La mise en œuvre d’éventuelles règles juridiques relatives à la GPA pose des problèmes difficilement solubles au regard de la préservation de l’intérêt des personnes. » La GPA faisant intervenir au moins trois catégories de personne : la gestatrice, le couple d’intention et l’enfant, pose des problèmes particulièrement ardus en matière d’établissement de la filiation, d’autonomie et droit de décision des deux premières catégories, de respect du principe d’anonymat. Par ailleurs, ce respect du principe d’anonymat qu’il semble difficile à préserver avec la GPA risque, par un effet « domino » de disparaitre aussi pour le don de gamètes. Si le législateur souhaitait mettre fin à l’anonymat du don de gamètes, au nom du besoin éventuel de certains enfants d’avoir accès à leur histoire, il serait dommage que cela se fasse par un effet indirect de la légalisation de la GPA.

« La GPA pourrait porter atteinte au principe de dignité de la personne humaine ou à l’image symbolique des femmes. » La société française n’est probablement pas unanime sur le contenu du principe de dignité. Cependant il se dégage au sein du CCNE une très grande réserve à l’égard du sort que la GPA ferait à la femme porteuse. En outre, de nombreux témoignages attestent qu’avec la GPA, on touche aux limites du consentement libre et éclairé : la liberté, dans la GPA, ne parait pas la même pour toutes les parties en présence. On constate en effet que dans les pays qui ont légalisé la GPA, le statut social des gestatrices est très largement inférieur à celui des couples d’intention.

« Des incertitudes demeurent quant à l’avenir de l’enfant issu de GPA. » Les études sur le devenir des ces enfants demeurent rares et très partielles et, devant les interrogations et la souffrance de certains jeunes adultes issus de dons de gamètes, il n’est pas possible de négliger l’impact éventuel à long terme d’une dissociation entre filiation maternelle et gestation sur le psychisme des personnes.

« La revendication de la légalisation de la GPA procède d’une conception contestable de l’égalité devant la loi. » Certes, le développement des techniques d’AMP et notamment la légalisation du recours aux gamètes d’un tiers donneur, donne le sentiment d’un engagement collectif à surmonter toutes les formes de stérilité, vécues comme un préjudice, qu’il faut compléter pour répondre à la situation des femmes qui n’ont plus d’utérus. Mais le CCNE estime qu’il faut se garder d’accréditer l’idée que toute injustice, y compris physiologique, met en cause l’égalité devant la loi. Du droit de, on risque de glisser vers le droit à, pour atténuer le sentiment d’émotion et de révolte qui nous étreint face à la détresse des femmes stériles. Estimer que toute situation de souffrance mérite une solution législative conduit rapidement à une impasse, la souffrance humaine étant à la fois éminemment subjective et infiniment variée dans ses causes. 

Quelques membres du CCNE, dans cet avis, expriment cependant une voie discordante en émettant le vœu que la GPA, strictement encadrée de façon à préserver la dignité et la sécurité des protagonistes, soit prévue à titre dérogatoire dans la loi à l’occasion de sa révision.



 

LES QUESTIONS ETHIQUES SOULEVEES PAR LE DIAGNOSTIC ANTE NATAL (DAN)

Le terme DAN recouvre deux notions :

Le diagnostic prénatal (DPN) consiste à rechercher, pendant la grossesse, des anomalies embryonnaires et fœtales. Il peut jouer un rôle majeur dans la prise en charge de l’enfant à la naissance voire dans certains cas rares, pendant la gestation. Mais force est de constater que la thérapeutique fœtale a bien peu évolué : ainsi le DPN aboutit la plupart du temps à une IMG.

Le diagnostic pré implantatoire d’autre part qui consiste, après une fécondation in vitro, à sélectionner les embryons indemnes de l’affection génétique recherchée, susceptibles d’être transférés in utero.

Dans un cas comme dans l’autre, la problématique éthique est grave et complexe puisqu’il s’agit de décider de la naissance d’un être humain.

Après un bref rappel de l’encadrement actuel de ces pratiques, nous envisagerons les différentes questions éthiques soulevées et nous terminerons par l’évocation d’un cas clinique qui illustre le dilemme éthique.

1°. Le DPN

L’encadrement actuel :

Dans le CSP, le DPN est défini comme l’ensemble des pratiques médicales ayant pour but de détecter chez l’embryon ou le fœtus une « affection d’une particulière gravité ». Ce diagnostic s’opère de différentes façons : par l’imagerie médicale surtout, c’est-à-dire l’échographie ou bien par des prélèvements de LA, de trophoblaste ou de sang fœtal effectués alors que le fœtus est in utéro.

Le diagnostic est à distinguer du dépistage qui précède le diagnostic, que l’on propose à toute femme enceinte : c’est l’analyse du sang maternel pour le dosage des marqueurs sériques de la trisomie 21. Le dépistage permet d’établir un risque pour l’enfant à naitre qui incite à faire des examens de diagnostic tels que l’amniocentèse ou le prélèvement de placenta. A l’issue du DPN, s’il existe une « forte probabilité que l’enfant à naitre soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic », un CPDPN peut délivrer, après concertation entre ses membres et sur demande du couple, une attestation permettant à celui-ci de solliciter la réalisation d’une IMG, qui peut être pratiquée à tout moment de la grossesse.

Il est également précisé que tous les examens autres qu’échographiques, doivent être précédés d’une consultation médicale informant le couple sur la maladie recherchée et ne peuvent être réalisés qu’avec le consentement écrit de la femme enceinte. Les établissements de santé ou laboratoires de biologie médicale ainsi que les praticiens et les CPDPN sont soumis à un régime d’autorisations par l’ARS après avis de l’Agence de Biomédecine.

De même la pratique de l’échographie est soumise à un ensemble de règles de bonnes pratiques, sous l’impulsion des sociétés savantes telles que le Collège Français d’Echographie Fœtale et la HAS.

Quelques chiffres issus de l’Agence de Biomédecine de 2007 :

Sur 28 292  dossiers étudiés par les CPDPN (il y a 48 CPDPN en France), il y a eu :

6645 attestations délivrées en vue d’une IMG

112 refus d’autorisations d’IMG

475 grossesses poursuivies avec une pathologie qui aurait pu faire autoriser une IMG.

Cela veut dire environ 6000 IMG par an en France.

Les problèmes éthiques liés à la pratique actuelle du DPN

On recense trois catégories de problème, l’un portant sur les risques iatrogènes, en particulier lorsqu’un geste invasif est nécessaire pour faire le diagnostic, l’autre sur les difficultés d’informations délivrées aux couples, le troisième sur la question de la précocité des dépistages.

Tout d’abord sur l’invasivité des gestes : le dépistage actuellement généralisé pour toute femme enceinte, commence avec des techniques non invasives : l’échographie et une prise de sang maternel. Mais si le risque est estimé élevé, les gestes diagnostiques qui s’ensuivent (PLA, PVC) comportent un risque de pertes fœtales de 0.5 à 1% des cas. Et l’on sait donc que l’on va devoir pratiquer des gestes qui comportent un risque de pertes fœtales pour des fœtus sains.

Le second problème a trait à l’information des couples. Une information a une réelle valeur éthique quand elle éclaire, sans les dicter, un choix qui reste ouvert sur plusieurs possibilités d’action. Or la caractéristique de cette information est qu’elle est extrêmement complexe : tout d’abord elle est anxiogène. Et les professionnels de l’obstétrique savent qu’on n’a pas besoin de cela pour que l’angoisse et l’anxiété se manifestent chez la femme enceinte. Ensuite elle est complexe : introduire pour les couples la notion de risque statistique est extrêmement complexe et difficile à appréhender, et se surajoutent souvent des problèmes de barrière linguistique, des personnes qui ont des difficultés de compréhension etc. Et enfin lorsqu’on s’engage dans des examens de dépistage et diagnostic, on sait que l’on va devoir attendre des résultats, temps qui dans le meilleur des cas, peut être mis à profit pour permettre une réflexion anticipée, ce qui en pratique est rarement le cas. Les professionnels savent combien ce temps est chargé d’angoisse qui nécessite un accompagnement. Les techniciens raisonnent en pourcentages, les couples en binaire : c’est tout blanc ou c’est tout noir. Et ce temps d’attente anxieuse contribue singulièrement à assombrir leur univers jusque là plein d’espoirs.

Le troisième ordre de difficultés concerne la précocité des dépistages. Certes on ne peut qu’encourager des explorations qui réduiront l’impact psychologique pour les femmes d’un diagnostic fait tardivement avec la possibilité de réalisation d’une IMG au moment où elles sentent bouger le bébé. Il faut cependant réaliser que le dépistage de la trisomie 21 par l’échographie du 1er trimestre et les marqueurs sériques maternels est effectué alors que l’IVG est encore possible ce qui soulève de nouvelles questions.

Je me souviens d’une patiente vue en échographie, à peine à 12 SA, à qui j’avais découvert chez son fœtus une hyperclarté nucale. Dans ce cas, la procédure nous indique d’adresser la patiente à un CPDPN pour confirmation du signe observé et pratique le cas échéant d’une PVC. Le rendez-vous est programmé deux jours plus tard. Un résultat provisoire du caryotype est rendu 48h après le rendez-vous : il ne présente aucune anomalie. Le résultat rassurant est communiqué à la patiente qui annonce qu’elle a fait une demande d’IVG, ne pouvant supporter l’idée du doute. J’ai été fortement touchée par cette histoire et je me suis demandée longtemps ce qui, dans l’information délivrée, avait à ce point pu conduire à en surestimer le risque. En tout cas il semble incontestable qu’une annonce lors d’un examen échographique marque fortement l’esprit des futurs parents : il sera difficile d’en effacer les traces. Et ce cas illustre bien l’exigence en matière d’informations, pour prévenir la violence d’une communication brutale et non empathique.

2°. Le DPI

Il s’agit d’un diagnostic biologique réalisé sur les cellules d’un embryon conçu après FIV afin d’identifier le ou les embryons indemne de l’affection recherchée, susceptibles d’être implantés dans l’utérus.

On est là face à des couples qui se savent porteurs d’un gène délétère susceptible d’être transmis à leur descendance. Ce sont des personnes, parfois eux-mêmes malades, qui ont été touchées très lourdement par la maladie dans leur famille, parfois même avec un premier enfant malade. Le DPI leur permet de retrouver un projet de grossesse possible alors même qu’ils auraient renoncé à mettre au monde un enfant qui risquerait d’être atteint. Autre avantage celui de faire un « tri » avant l’implantation pour leur éviter la souffrance de l’IMG si le diagnostic était réalisé pendant la gestation.

Les conditions du DPI sont aujourd’hui plus strictes que le DPN.

Il existe à ce jour trois centres de DPI en France. Environ 300 demandes de DPI sont déposées annuellement en France auprès de ces centres. En 2007, 50 enfants sont nés à la suite de sa mise en œuvre. Cependant faute de moyens appropriés, ces centres sont actuellement dans l’impossibilité de répondre à la demande des couples, ce qui entraine un délai entre la demande et la première tentative de DPI qui est actuellement de 1 ou 2 ans selon les centres, ce qui constitue une perte de chances à mesure que l’âge de la femme augmente.

Les questions qui se posent sont les suivantes : faut-il augmenter les moyens donnés à la mise en œuvre du DPI et par extension en élargir les indications ? Cet assouplissement des conditions du DPI n’induirait-il pas des risques supplémentaires d’eugénisme ? Certains exemples étrangers témoignent des risques de dérives : près de 10% des DPI seraient ainsi pratiqués aux USA pour le choix du sexe de l’enfant. Au Royaume Uni, le DPI est systématiquement proposé à toutes les femmes de plus de 35 ans qui ont recours à une AMP.

A la question de savoir s’il faut élargir le DPI, le CCNE répond que les garde-fous législatifs n’appellent pas de remise en cause : il est essentiel de ne pas accepter l’idée qu’une demande de DPI pourrait être recevable alors qu’elle ne le serait pas pour une IMG. L’interdiction que l’on pourrait lever serait celle de rechercher une T21 à l’occasion d’un DPI pour maladie génétique, position défendue par le CCNE et le rapport Léonetti. En revanche, lors d’une FIV « classique » pour infertilité et non des antécédents génétiques familiaux, il ne semble pas opportun de procéder à une recherche d’anomalies chromosomiques avant l’implantation utérine. Il s’agirait alors d’effectuer un geste supplémentaire, une biopsie de cellules de l’embryon alors qu’on est encore dans l’impossibilité de démontrer formellement l’innocuité à long terme des gestes effectués lors du DPI.

De même le recours au DPI au motif que la qualité de la vie de la famille serait augmentée par la possibilité de choisir le sexe de l’enfant, ou bien s’il bénéficiait d’une caractéristique physionomique ou sensorielle n’est pas recevable. Seul l’intérêt des couples serait ici pris en compte. L’enfant est traité comme un objet qui obéit à la commande et à la programmation. Ces usages constitueraient des formes de dévoiement de la médecine.

3°. Les questions éthiques

La première question qui se pose concernant le DAN est celle de sa finalité ou en d’autres termes : peut-on parler de pratiques eugéniques ?

La deuxième question est celle de la gravité et de l’incurabilité de l’affection selon les propres termes de la loi. Si l’incurabilité est assez facile à évaluer, la gravité n’est pas une catégorie déterminable de façon générale mais nécessite une approche au cas par cas. Comment dès lors les couples qui sont au final les seuls décisionnaires vont-ils pouvoir participer à la détermination du degré de gravité et de ses conséquences sur leur vie ultérieure avec l’enfant ?

Peut-on parler de pratiques eugéniques ?

On trouve dans le Code Civil l’article suivant : « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite. » Et ce que le législateur a retenu comme définition de l’eugénisme est celle « d’un programme politique, hygiéniste et idéologique, visant à améliorer l’espèce humaine ».

Actuellement les professionnels de santé ne sont pas astreints à des directives imposées par les pouvoirs publics incitant les femmes à recourir à une IMG. Ils sont tenus à délivrer l’information, notamment d’informer systématiquement chaque femme enceinte de l’existence d’un test de dépistage de la T21. On perçoit bien cependant combien la différence entre obliger à dire et inciter à faire est ténue. Et puis le dépistage voire le diagnostic (une fois franchi un seuil de risque) sont pris en charge par l’Assurance Maladie.

Et concernant le dépistage de la T21, rappelons qu’il s’agit d’une maladie pour laquelle il n’y a pas de traitement. De là à considérer la mort, par l’IMG, comme un traitement…

Faut-il pour autant considérer l’IMG comme un mode de prévention ? Il s’agit d’un raccourci qui me semble discutable. Certes, on peut penser qu’une IMG est là pour « prévenir » la souffrance morale des couples. Mais ne perdons pas de vue cependant que c’est d’abord et avant tout dans l’intérêt direct de l’enfant à naitre qu’un dépistage ou un diagnostic sont effectués.

Faut-il considérer que le dépistage généralisé de la T21 résulte d’une politique eugénique ?

Je reprendrai à mon compte 4 axes d’analyse tels que nous les proposait Israël Nisand lors d’un congrès récent de périnatalité. On peut considérer qu’il y a 4 conditions à réunir pour considérer une pratique comme eugénique :

         Discriminatoire

         Coercitive

Ayant un fondement génétique

Dont le but est la sélection.

Pour la 4ème condition, la réponse est oui concernant le DAN : il y a bien une sélection des enfants à naitre. Mais il n’y a pas de fondement génétique dans le sens d’amélioration de la race au sens d’élimination des gènes délétères. Au contraire, le DAN, et surtout le DPI, permet aux couples à risque de procréer, donc il permet la naissance de porteurs de gènes à l’état hétérozygote, c’est-à-dire qu’ils ne s’exprimeront pas chez eux, mais qu’ils pourront transmettre eux-mêmes.

S’agit-il d’une pratique discriminatoire ? Oui si la qualité de l’information n’est pas la même pour tous, si elle est tronquée, ou si elle est incitative. Et on arrive justement à la dernière des conditions : s’agit-il d’une pratique coercitive ? Très clairement je réponds non : aucune des étapes (dépistage, diagnostic, IMG) n’est obligatoire. Alors bien sûr, il peut y avoir des personnes que l’on manipule au travers de la communication mais il s’agit là de pratiques à mon sens répréhensibles. La coercition, on peut cependant l’entrevoir par le fait de l’extrême difficulté dans l’accueil des handicapés, qui laisse les couples dans la détresse et la solitude. Alors oui, si ce pays ne veut plus se donner les moyens de l’accueil des handicapés et des plus faibles d’entre nous, alors la pratique du DAN est fortement coercitive.

En conclusion sur ce point, en reprenant les termes du CCNE, « la puissance publique ne saurait être accusée de mettre en œuvre une pratique eugénique, il importe cependant de veiller à ce que les choix des couples ne soit pas menacé par un climat idéologique incitatif. »

Sur l’appréciation de la gravité des affections :

Lorsque le DPN permet de déceler une affection fœtale pour laquelle aucune intervention préventive ou curative n’est envisageable, le couple peut formuler une demande d’IMG. Sa demande est alors examinée par un CPDPN qui appréciera la gravité et le caractère incurable de la maladie.

Un des problèmes éthiques majeurs est de savoir comment évaluer cette gravité.

Le législateur n’a volontairement pas voulu faire une liste d’indications, il appartient à chaque CPDPN d’apprécier au cas par cas si la demande est fondée et correspond aux critères de gravité et d’incurabilité.

Il existe une diversité de situations et l’appréciation de la gravité est souvent associée à la souffrance attendue pour l’enfant à naitre mais aussi pour ses parents.

Pour l’enfant à naitre :

On a tendance à penser que la souffrance morale engendrée par le handicap est moindre quand le handicap est mental : on peut penser qu’il n’y a pas de conscience du handicap. Mais on peut aussi penser qu’il sera plus exposé à des souffrances intimes du fait de l’impossibilité où il se trouve de les exprimer. De plus, dans le cas de maladies génétiques, l’appréciation de la gravité est rendue complexe par la variabilité d’expression de la maladie. C’est souvent en explorant l’histoire familiale que les CPDPN peuvent prévoir la gravité de la maladie.

Et puis la gravité de la maladie est également liée aux conditions d’accueil et à la qualité de prise en charge dont l’enfant pourra bénéficier par sa famille mais aussi par les structures d’accueil que lui réserve la société. C’est pourquoi les CPDPN, dans leurs séances d’évaluation des dossiers, doivent toujours évaluer ces paramètres extra-médicaux et notamment mesurer les difficultés relationnelles et contextuelles que l’enfant va rencontrer au cours de sa vie.

Pour les couples et les familles :

Dans la mesure où la souffrance de l’enfant est liée au contexte relationnel, il est alors indispensable de s’interroger sur la souffrance des couples et de son entourage. Et l’on pense en particulier à la fratrie.

Il me semble tout d’abord juste de rappeler qu’il n’est pas exact que les couples recherchent « l’enfant parfait » ou qu’ils sont prêts à demander une interruption de grossesse à la moindre suspicion d’anomalie mineure. Dans l’immense majorité des cas, les couples veulent des enfants à qui il soit épargné le plus de souffrance.

On sait que dans l’appréciation de la souffrance ressentie par les couples vont entrer en jeu des éléments personnels tels que les convictions personnelles, les croyances, la culture, des craintes à l’idée que leur enfant leur survive sans qu’il sache à qui sera confiée la prise en charge. Et tout ceci est très difficile à mesurer par les CPDPN, l’appréciation de la capacité des familles à faire face à cet évènement. C’est pourquoi les équipes des CPDPN sont des équipes pluridisciplinaires qui ne se limitent pas aux seuls acteurs médicaux : elles comportent en effet la présence d’un psychologue.

Dans certains cas, la démarche d’une IMG est plus éprouvante encore pour les femmes que l’idée d’avoir un enfant atteint d’une affection grave. C’est pourquoi certaines familles, même lorsque les informations médicales les autorisent à recourir à une IMG, décident de poursuivre la grossesse, ce qui peut engendrer d’autres questions de prise en charge à la naissance de l’enfant : faut-il réanimer un enfant lourdement handicapé ? Lui faire subir des interventions chirurgicales très lourdes dont sa survie dépend ? Et si l’enfant est viable malgré tout alors que l’affection était considérée comme létale et laissait peu de chances de survie ?

Encore une question, c’est celle à l’inverse de la situation suivante où un couple en souffrance demande une IMG alors même que l’équipe du CPDPN estime qu’il ne s’agit pas d’une affection grave et incurable ? Ces cas sont heureusement assez marginaux : en effet dans la pratique, on observe très peu de discordances entre les conclusions des CPDPN et les attentes des couples. Mais cependant, quand ces situations se présentent, que penser du fait qu’un être humain en gestation, qui plus est affecté d’un handicap, ne soit plus désiré par sa famille ? Ceci ne constitue-t-il pas des risques de souffrances encore plus importants que ceux liés au seul handicap ?

On serait en droit de se demander s’il faut livrer l’appréciation de la gravité aux seuls CPDPN ou s’il ne fait pas impliquer davantage les parents dans le choix, considérant qu’ils sont meilleurs juges de ce qu’ils sont capables d’accepter. Cette option me semble éthiquement discutable : ne s’agirait-il pas de faire porter tout le poids de la responsabilité sur les couples. Il faut que la pluridisciplinarité des CPDPN continue de garantir des appréciations les plus justes, si ce n’est les meilleures au moins les moins mauvaises, pour chaque cas dans sa singularité.

Il ne semble pas non plus nécessaire que soit établie une liste de maladies rendant acceptable le DAN : elle serait susceptible de devenir normative et substituerait une procédure standardisée à l’analyse au cas par cas.

De nouveaux problèmes éthiques sont entrevus aussi liés aux perspectives d’un DAN ultra précoce : en effet, on sait que l’ADN fœtal circulant dans le sang de la femme enceinte est désormais accessible. Outre que cela permettrait un dépistage génétique ultra précoce avec un risque d’interruptions de grossesse pratiquées au moindre doute, les connaissances délivrées par les tests génétiques sont de nature probabilistes, c’est-à-dire qu’il est difficile de définir le pronostic exact de la découverte d’une mutation génétique en termes de gravité de l’atteinte. Il est à redouter également que ces tests soient disponibles auprès d’officines privées via internet, sans accompagnement médical approprié.

Pour illustrer le dilemme éthique auquel on est confronté face à un diagnostic positif et clore mon intervention, j’ai choisi de vous rapporter un cas clinique récent.

Il s’agit de Mme D. que je rencontre lors de sa 1ère échographie qui est en règle générale réalisée à 2 mois et demi de grossesse. Mme D. a la trentaine passée, elle est mariée. Vit déjà au foyer une petite  fille de 2 ans en bonne santé. Cette seconde grossesse était désirée.

A l’échographie, on découvre qu’il s’agit de jumeaux, ce que le couple découvre en même temps que nous étant donné que l’image saute aux yeux. Le couple réagit assez violemment à cette découverte et en même temps c’est comme un mauvais pressentiment qui se réalise : Mr D. est lui-même jumeau, ils avaient déjà évoqué ensemble ce risque et le redoutaient. En effet ils vivent loin de leur famille, Mme D. a un nouveau travail, leur premier enfant est encore petite.

Mais ils n’ont pas encore fait le tour de leurs émotions quand on leur annonce que l’un des deux jumeaux est porteur d’une hyperclarté nucale. Face à une hyperclarté nucale, on sait que statistiquement le risque d’aberrations chromosomiques est de 25%. Ce signe peut aussi révéler l’existence de malformations telles que des malformations cardiaques. Il y a donc 75% de chances que ce jumeau n’ait rien mais, dans l’état actuel des observations, il y a aussi risque que les deux jumeaux soient affectés étant donné qu’on ne sait pas encore s’il s’agit de jumeaux homozygotes ou hétérozygotes.

La patiente est envoyée à Lyon au CPDPN où une ponction de trophoblaste est effectuée sur le jumeau atteint : le résultat tombe trois jours plus tard, il s’agit d’une fille trisomique. Il est alors indispensable de faire un caryotype sur le 2ème jumeau mais celui-ci est indemne de l’affection.

Monsieur et Mme D. sont informés que la trisomie 21 peut justifier une IMG s’ils en font la demande. Cette IMG sera alors sélective, avec le risque de provoquer l’arrêt complet de la grossesse.

Mr et Mme D. sont placés face à un choix très douloureux :

         Soit ils choisissent l’IMG pour le jumeau trisomique en prenant le risque de sacrifier son frère indemne, ce qui plonge Mme D. dans une très grande détresse. De plus, l’idée de faire un tri entre les deux et de faire mourir la sœur pour le frère restant est une grande souffrance pour le couple : que lui dira-t-on plus tard ? nous confient-ils ?

         La deuxième option est de laisser évoluer la grossesse et d’accueillir des jumeaux dont l’un des deux est trisomique. On sait combien l’arrivée de jumeaux fragilise les couples et ce couple-là redoutait d’avoir des jumeaux. On imagine aisément l’épreuve supplémentaire d’élever des jumeaux dont l’un des deux est porteur d’un handicap aussi lourd.

Souffrance des couples mais aussi dilemme et peut-être souffrance des soignants aussi qui doivent assumer la responsabilité d’une décision : celle d’autoriser l’IMG en sachant tous les risques d’arrêt de la grossesse. Primum non nocere, en premier ne pas nuire comme est formulé le premier principe déontologique. L’IMG sélective est possible même si elle est délicate : il s’agit d’être sûr de ne pas faire d’injection létale au jumeau sain, mais est-on bien sûr :

         De ne pas nuire au frère indemne en provoquant sa mort ?

         De ne pas nuire au couple par les conséquences de nos gestes ?

De ne pas nuire à l’enfant survivant en lui faisant porter toute sa vie le poids du sacrifice de sa sœur malade ?

Monsieur et Madame D. ont choisi de demander l’IMG sélective et la grossesse évolue normalement.



 

Conclusion :

Au final, que faut-il attendre de cette nouvelle législation sur la bioéthique puisque, comme on vient de le voir, les arguments déployés actuellement ne plaident pas en faveur d’un chamboulement législatif ?

Ce qui est susceptible d’évoluer concerne les règles suivantes :

L’autorisation du transfert d’embryon post mortem à titre exceptionnel lorsque le projet parental était engagé avant le décès du conjoint ;

L’autorisation du dépistage de la T21 lorsque les embryons font l’objet d’un DPI ;

La création d’un nouveau centre de DPI.

Ce qui va être très discuté :

La levée de l’interdiction pesant sur la recherche sur l’embryon, soutenue par la communauté scientifique française, avec adoption d’un régime d’autorisations sous conditions alors que beaucoup pensent qu’il faut maintenir le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon et n’autoriser les recherches à titre dérogatoire après avis du Conseil d’orientation de l’Agence de Biomédecine ;

La levée de l’anonymat du don de gamètes pour répondre à la souffrance des enfants devenus adultes, issus d’un don de gamètes et qui souffrent de l’ignorance de leur parenté biologique.

Mis à part ces points là, les grands principes ne devraient voir aucune évolution. Nombreux sont d’ailleurs les voix, et le Conseil d’Etat en fait partie, qui estiment qu’un réexamen régulier de la loi n’est plus nécessaire. Ce choix se justifiait avec les premières lois de bioéthique parce qu’elles posaient des règles dans un domaine largement nouveau pour le législateur. Cela pouvait de nouveau s’entendre en 2004 alors que l’on ressentait encore des hésitations de la part de la représentation nationale vis-à-vis de la question de la recherche sur l’embryon. Beaucoup pensent que le temps n’est plus de poser de nouveaux principes mais plutôt de mettre en œuvre ces principes au travers de règlementations sectorielles en matière de règles de bonnes pratiques, de libre appréciation des patients et de dialogue avec les équipes médicales. Comme si le droit était arrivé à un point d’équilibre.

Alors pourquoi certaines législations autour de nous vont sembler à certains plus en avance, trop permissives pour d’autres ? La législation d’un pays est-elle le reflet de l’évolution d’une société ? On peut certainement considérer que la législation de notre pays  est en retard pour des points que l’on a évoqués ce soir : beaucoup diront en effet qu’autoriser l’AMP pour les couples homosexuels, légaliser la GPA ne ferait qu’entériner une situation de fait, étant donné le nombre de nos concitoyens qui contournent la législation en vigueur.

N’est-ce pas d’ailleurs ce que l’on a fait lorsque l’on a légalisé la pratique de l’IVG, d’autant plus qu’il y avait urgence en matière de santé publique et de protection des femmes ? Et en même temps, si l’on reprend le climat extrêmement polémique dans lequel se sont tenus les débats, on peut penser que la loi était en avance sur les valeurs de la société de l’époque. N’en était-il pas de même au moment où l’on a voté l’interdiction de la peine de mort ?

Dans un contexte de mondialisation des échanges et des services, nos principes nationaux semblent bien difficiles à tenir et il y a peu à espérer de la ratification de traités internationaux. Les défis à relever sont probablement plus du côté de la culture, de l’éducation et de la démocratisation du savoir notamment en matière de génétique, pour éviter les dérives vers une médecine prédictive telles que le recours par exemple à des tests génétiques sur internet via des sociétés commerciales privées.

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