Texte sur la bioéthique. F.Chichoux- Marga
Conférence Cercle CONDORCET
19 octobre 2010
INTRODUCTION
La France a été le 1er pays en
Europe à se doter d’une législation complète en matière de bioéthique avec les
trois 1ères lois de bioéthique adoptées en juillet 1994.
C’est gouverné par le
principe de dignité de la personne humaine que s’est inscrite dès le départ la
réflexion et la législation sur la bioéthique, principe que le Conseil
Constitutionnel a d’ailleurs consacré. Le respect de la dignité de la personne
appelle d’autres principes : la primauté de la personne humaine, le
respect de l’être humain dès le commencement de la vie, l’inviolabilité,
l’intégrité et la non patrimonialité du corps, ainsi que l’intégrité de
l’espèce humaine. Principe de non patrimonialité auquel la loi de 1994 a apporté une exception
par la possibilité du don d’organes et de gamètes.
Parmi les règles fixées en
94 selon ces principes : l’anonymat et la gratuité du don, l’interdiction
des manipulations génétiques susceptibles d’avoir un effet sur la descendance,
l’interdiction de la recherche sur l’embryon, l’ouverture de l’aide médicale à
la procréation (AMP) aux couples stériles et stables, formés d’un homme et
d’une femme, l’interdiction du « double don » de gamètes et
l’interdiction du recours à une mère porteuse.
Les principes et les règles
posés par le Parlement en 1994 ont été intégralement confirmés 10 ans plus tard
quand la loi du 06 août 2004
a été adoptée.
Quelques modifications
importantes ont cependant été adoptées en 2004 :
Sans remettre en cause
l’interdiction, la possibilité d’autoriser temporairement les recherches sur
les embryons surnuméraires. Le législateur espérait alors que l’évolution de la
recherche lui permettrait de se prononcer définitivement cinq ans après
l’entrée en vigueur de ce régime d’autorisations obligatoires, régime qui
cessera d’exister à l’expiration de cette période, sauf nouvelle législation.
Interdiction de toute
possibilité de clonage.
Utilisation, à titre
exceptionnel, du diagnostic pré implantatoire, qui consiste, après une fécondation
in vitro (FIV), à sélectionner les embryons indemnes de l’affection génétique
recherchée en vue d’une grossesse.
Assouplissements pour
organiser le don d’organes, de tissus ou de cellules à l’intérieur du cercle
familial.
Création de l’Agence de
Biomédecine.
La loi de 2004 prévoyait,
comme en 1994, un réexamen cinq ans après son adoption.
Depuis 2004, aucune
recherche n’est venue bouleverser fondamentalement le champ de la bioéthique
mais l’approfondissement des techniques existantes et surtout leur diffusion
croissante change la dimension du problème. On assiste à un accroissement de la
demande sociale pour bénéficier d’actes et de techniques qui ne relèvent plus
seulement du soin.
Parmi les questions
auxquelles le dispositif législatif en matière de bioéthique doit se confronter
aujourd’hui, on peut citer les suivantes :
1°. Des demandes
apparaissent pour ouvrir le bénéfice de l’AMP à des couples homosexuels ou à
des femmes seules, de légaliser le recours à une mère porteuse. Le désir de
devenir parents crée-t-il des droits allant jusqu’à autoriser la conception
d’enfants sans père ou le recours à une autre femme au service du projet
parental ?
2°. Faut-il permettre de
lever, en tout ou partie, l’anonymat du don de gamètes pour répondre à une
aspiration des enfants issus de telles conceptions à connaître leurs
origines ?
3°. Doit-on autoriser
l’accueil d’un embryon surnuméraire par un couple dépourvu de tout lien
génétique avec cet embryon ou la conception médicalement assistée d’enfants
dont la naissance permettrait d’obtenir des cellules pour tenter de guérir un
ainé atteint d’une maladie très grave, ce que l’on appelle les
enfants-médicaments ou les enfants du
double espoir ?
4°. L’essor formidable des
tests génétiques met à la disposition de public de multiples données :
informations sur les caractéristiques de l’enfant à naître, données indiquant
des prédispositions éventuelles à certaines maladies, révélations plus ou moins
fiables sur la filiation, etc. ? Que faire pour respecter le droit de
l’information des citoyens tout en prévenant les risques de dérives liées au
mauvais usage de celle-ci ?
5°. Les débats
scientifiques se poursuivent sur l’utilité comparée des recherches sur les
cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches adultes. Comment
choisir entre la nécessaire protection de la personne humaine dès le
commencement de la vie et l’espoir, même incertain, de pouvoir soulager un jour
des souffrances ?
6°. Faut-il dépénaliser
l’euthanasie ?
La nouvelle loi aurait du
être inscrite à une des sessions parlementaires de 2010. Nous sommes en
octobre, il était question qu’elle le soit à la session d’automne parce qu’il y
a urgence : si on ne légifère pas, la période d’autorisation de 5 ans
accordée pour certains projets de recherche sur les embryons surnuméraires
s’achèvera. La loi devrait entrer en vigueur en 2011.
Si j’avais voulu aborder
toutes ces questions, il m’aurait fallu au moins 3 heures de temps de parole,
ou alors je pouvais choisir de faire un vaste catalogue pour passer en revue
tout ce qui est discuté dans la loi. Ce n’est pas cette option que j’ai
retenue : j’ai trouvé plus intéressant de développer trois points en
passant en revue les arguments éthiques en faveur ou non de l’évolution de la
loi, ce qui me semblait plus intéressant pour enrichir la réflexion des uns et
des autres. L’intervention sera donc articulée en trois parties qui sont les
suivantes :
1°. Faut-il élargir les
conditions d’accès à l’AMP ?
2°. Faut-il permettre
l’accès à la GPA ?
3°. Quels sont les problèmes
éthiques soulevés par le diagnostic anténatal (DAN) et le diagnostic
préimplantatoire (DPI) ? Un encadrement plus restrictif de la loi
permettrait-il de faciliter certains de ces problèmes ?
J’ai retenu ces points
parce qu’en tant que sage-femme, je me sentais plus d’aisance pour parler de
ces questions qui ont trait à la périnatalité. Et puis parce que ces questions
éthiques ne font pas appel à des connaissances de spécialistes : chaque
citoyen peut se sentir concerné et est susceptible d’intervenir dans ce débat.
Bien sûr, pour ceux qui seront frustrés, il sera possible d’aborder dans le
débat qui suivra d’autres sujets. Et d’autant plus qu’il y a d’autres personnes
dans la salle pour étayer certains thèmes qui me sont personnellement moins
familiers.
Pour préparer cette
conférence, je me suis appuyée sur le rapport du Conseil d’Etat qui date de
2009 et le rapport fait au nom de la mission d’information sur la révision des
lois de bioéthique de janvier 2010 qui
était piloté par Jean Léonetti. J’ai aussi consulté les conclusions des états
généraux de la bioéthique, grande consultation nationale et citoyenne qui a eu
lieu entre 2008 et 2009 et dont le rapport final est paru en juillet 2009. Mais
également les avis du Comité Consultatif National d’Ethique sur ces sujets,
dont toutes les références pourront vous être données à la fin.
FAUT-IL ELARGIR ET
ADAPTER LES CONDITIONS D’ACCES A L’AMP ?
1°. L’encadrement actuel ou
l’AMP comme réponse médicale à un problème médical
L’AMP désigne l’ensemble
des « pratiques cliniques et
biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et
l’insémination artificielle, ainsi que toute technique d’effet équivalent
permettant la procréation en dehors du processus naturel. »
L’ensemble des règles
applicables à l’AMP a été introduit dans le CSP par la loi de 1994. Elles font
référence à des principes présents dans le Code Civil, relatifs à la primauté
de la personne parmi lesquels : primauté de la personne, respect de l’être
humain dès le commencement de la vie, respect du corps, par son inviolabilité
et sa non patrimonialité, étendue à ses éléments et produits, nullité de toute
convention portant sur la procréation ou la gestation pour compte d’autrui,
anonymat des dons d’éléments du corps humain.
D’après le CSP, l’AMP ne
peut avoir que deux finalités :
Remédier à l’infertilité
dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ;
Eviter la transmission à
l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.
Les bénéficiaires en
sont :
Les couples formés d’un
homme et d’une femme
Mariés ou apportant la
preuve d’une vie commune d’au moins 2 ans
Vivants et en âge de
procréer.
Autres conditions :
La conception in vitro doit
se faire avec les gamètes d’au moins l’un des 2 membres du couple, le
« double don » de gamètes étant interdit.
Tout don est anonyme et
gratuit.
En pratique, l’AMP a été
relativement stable ces dernières années : près de 120 000 tentatives
par an (2006), dans la très grande majorité des cas avec les gamètes des 2
membres du couple. Dans seulement 6% des cas, la procréation a eu lieu avec un
don de sperme, ce qui aboutit à la naissance d’environ 1122 enfants, et dans 1%
des cas, grâce à un don d’ovocytes, soit 106 enfants.
Les tentatives d’AMP
aboutissent à la naissance de 20 000
enfants par an en France, soit 2.5% des naissances. Les chances de
grossesse sont d’environ 25% et les risques de grossesses multiples supérieurs
à 20%. Le nombre d’embryons congelés était de 176 000 au 31/12/2006. Il
semble qu’un peu plus de 20% de ces embryons ne fassent plus l’objet d’un
projet parental. La loi prévoit qu’après un délai de 5 ans, ces embryons, après
consentement du couple, peuvent être accueillis par un autre couple, cédés à la
recherche ou détruits.
Ces conditions d’accès à
l’AMP sont jugés par certains comme trop strictes, voire obsolètes. Les
demandes portent sur les dispositions de la loi relatives à la stabilité du
couple, à l’âge de procréer, à la possibilité d’autoriser la procréation après
la mort et à l’accès à l’AMP pour les femmes seules et les couples de même
sexe.
2°. La condition de
stabilité du couple
En écartant les
interrogations portant sur le bien fondé de ce critère, cette disposition
soulève certaines difficultés pour les praticiens qui sont tenus de la
vérifier. Les équipes se fondent aujourd’hui sur des documents de nature
diverse (une facture, un contrat de bail ou un certificat de concubinage) en se
montrant plus ou moins exigeantes. En l’absence de document officiel permettant
de prouver l’existence de cette condition, le principe qui prévaut est celui de
la liberté de la preuve, preuves qui n’ont pour la plupart aucune valeur
juridique. Ainsi très souvent l’attitude des équipes médicales est fondée sur
la confiance estimant, et je cite le Pr Jean-François Guérin, responsable de
l’unité de médecine de la reproduction à Lyon, « qu’il ne leur revient pas de diligenter une enquête pour
vérifier qu’un couple qui se prétend stable vit bien ensemble depuis 2
ans. » Certes, on s’accordera à penser que l’exigence d’une réflexion
minimale ou d’une vie commune d’une certaine durée comme préalable à ce projet
de grossesse est tout à fait légitime, mais le respect d’une obligation aussi
précise est difficile à vérifier.
Ainsi, s’il est décidé de
maintenir cette disposition d’une durée minimale de vie commune, le Conseil
d’Etat comme le rapport Léonetti suggèrent que soient précisés les critères ou
documents à présenter pour aider les équipes médicales dans leur décision.
Cette durée minimale de vie
commune est justifiée médicalement par la nécessité d’un temps suffisamment
long pour évoquer chez un couple une difficulté à procréer. De plus, ces
dispositions peuvent être entendues comme visant à protéger l’enfant, en
veillant à ce qu’il soit accueilli par un couple aussi stable que possible. Or
la durée de 2 ans de vie commune n’est pas requise dans le cas de couples
mariés. Le législateur a sans doute considéré que cette garantie de stabilité
était plus assurée en cas de mariage, ce qui reste à prouver…. Pour beaucoup,
cette distinction entre couples mariés dont la stabilité est présumée et
couples non mariés qui doivent faire la preuve d’une vie commune est jugée
discriminante pour ces derniers, voire pénalisante quand on sait que l’âge de
la femme est un facteur important de succès de l’AMP : plus on attend,
moins on a de chances de succès. Ces dispositions pourraient donc être
assouplies. Le Conseil d’Etat a jugé préférable de conserver dans la loi le
principe d’une période minimale de 2 ans de vie commune. Mais il suggère en
outre de ne plus faire de différence entre les couples pacsés et les couples
mariés. Suggestion que le rapport Léonetti reprend et complète par la
proposition d’ouvrir des exceptions à cette durée minimale pour raisons
médicales ou d’âge.
3°. L’âge de
procréer :
Cette disposition avait été
maintenue en 2004 pour éviter que des femmes ménopausées aient recours à l’AMP,
crainte qui n’a rien d’hypothétique puisqu’en effet des femmes d’un âge avancé
ont pu être enceintes grâce à un don d’ovocytes. Cette condition s’est
traduite, sur un plan pratique, par une décision des caisses d’Assurance
Maladie, de ne plus prendre en charge les FIV après 43 ans. Pour les hommes,
les équipes médicales ne prennent pas en charge les couples dont l’homme a plus
de 60 ans et les CECOS ont également limité l’âge des donneurs de sperme à 45
ans.
Les dispositions de la loi
réservant l’accès à l’AMP aux personnes en âge de procréer soulèvent plusieurs
questions :
Tout d’abord, il faut
prendre en considération le fait que les progrès de la science permettent
d’accroitre l’espérance et la qualité de vie et ainsi l’âge de procréation pour
les hommes et les femmes.
De plus, il incombe aux
équipes médicales d’apprécier si les couples sont ou non en âge de procréer, ce
qui peut entrainer des inégalités de traitement entre les couples.
Fixer un âge limite ne
permet pas de prendre en compte les différences clinico-biologiques
individuelles. La discussion des indications d’AMP relève donc d’une décision
au cas par cas, mais qui peut être très subjective.
Cette limite de prise en
charge de ces couples serait à l’origine d’un tourisme procréatif, les femmes
se rendant à l’étranger, notamment en Espagne, pour bénéficier d’un don
d’ovocytes.
Il convient cependant de
rappeler qu’après 42 ans, les taux de grossesses s’effondrent et que les taux
de complications obstétricales et générales augmentent. Repousser l’âge à
partir duquel il est possible de recourir à l’AMP pourrait induire une pression
accrue sur les dons d’ovocytes. Ne peut-on y voir un risque de dérive de l’AMP
vers des indications sociales, alors qu’elle est considérée jusque là comme un
traitement palliatif à une infertilité pathologique. Le Conseil d’Etat comme le
rapport Léonetti estime « par
conséquent que repousser la limite d’âge à partir de laquelle les actes de FIV
sont pris en charge ne renvoie à aucune nécessité, serait source d’illusions
pour les femmes et constituerait une prise de risque inutile pour leur
santé. »
4°. Procréer par delà la
mort ?
D’après la législation en
vigueur, l’accès à l’AMP est autorisé lorsque l’homme et la femme formant le
couple sont vivants, le décès d’un des membres du couple faisant obstacle à
l’insémination ou au transfert d’embryons. Nous allons cependant distinguer
deux situations : l’insémination post mortem et le transfert d’embryons
post mortem.
L’insémination post mortem
Nous sommes face à des
couples qui, face à une maladie grave, ont recours à l’autoconservation de
spermatozoïdes. Certaines femmes, dans la douleur de la disparition de leur
conjoint, demandent ensuite une insémination avec le sperme de leur conjoint
décédé.
Cependant l’insémination
post mortem soulève un certain nombre d’objections éthiques :
En premier lieu, le
consentement libre et éclairé constitue l’un des principes fondamental des lois
de bioéthique. Qu’en est-il du consentement d’une personne défunte ?
Peut-on disposer des éléments du corps des morts ?
En second lieu, la
conception délibérée d’un enfant avec les gamètes d’un mort est-elle conforme
aux intérêts de l’enfant ? En d’autres termes, doit-on mobiliser le
concours de la médecine et de la sécurité sociale pour concevoir des enfants
sans père ? Doit-on faire endosser à la société la responsabilité de
permettre la conception délibérée d’un enfant orphelin ?
Et une fois l’insémination
post mortem autorisé, faudrait-il ensuite envisager l’accès à l’AMP de femmes
seules ? avec l’insémination post mortem, n’est–on pas en train de
franchir une limite, celle de la différence entre le vivant et le mort ?
Nombreuses sont les voix
qui aujourd’hui s’élèvent pour maintenir l’interdiction de l’insémination post
mortem.
Le transfert d’embryons
post mortem
Il n’en est pas de même
pour le transfert d’embryons post mortem. Il s’agit là de permettre
l’implantation, après le décès du conjoint, d’un embryon congelé, ayant déjà
été conçu dans le cadre d’une AMP avant le décès.
Certaines réserves vues
précédemment avec l’insémination post mortem sont communes au transfert post
mortem. Et de plus, on est en train de redouter que la possibilité de transfert
post mortem entraine une augmentation des demandes de FIV ante mortem. En
effet, les spécialistes des CECOS décrivent l’attitude de ces couples, très
nombreux, qui face à une maladie grave, ont recours à l’auto conservation de spermatozoïdes.
L’autorisation du transfert post mortem ne susciterait-elle pas des demandes de
FIV ante mortem ?
Mais il existe cependant
des différences fondamentales sur le plan éthique entre insémination et
transfert post mortem.
En premier lieu, dans le
cas du transfert, l’enfant a été conçu par AMP dans le cadre d’un projet
parental, qui a été rompu par le décès brutal du conjoint mais qui existait bel
et bien et résultait d’une volonté exprimée par les deux membres du couple.
De plus, la disparition de
l’homme ne fait pas disparaitre les droits que la femme peut avoir sur ces
embryons. Il semble extrêmement difficile sur un plan éthique que l’on puisse
faire obstacle à la mère d’avoir un enfant du père décédé, position qu’avait
d’ailleurs fait valoir le CCNE dans son avis N°40 (décembre 93). Il semblerait
raisonnable qu’un certain délai soit observé après le décès du conjoint pour
que la mère soit en mesure de prendre une décision éclairée et autonome.
Ainsi, lorsque le décès du
conjoint vient interrompre un projet parental déjà engagé et devant aboutir
dans un bref délai à la naissance d’un enfant, il semble éthiquement concevable
d’envisager le transfert d’embryons post mortem.
5°. Convient-il de répondre
à l’infertilité sociale ou en d’autres termes permettre l’accès à l’AMP aux
femmes seules et aux couples de même sexe ?
Les femmes seules
En Belgique, au Danemark,
en Espagne, aux Pays Bas et au Royaume Uni, les femmes seules ainsi que les
couples homosexuels féminins peuvent bénéficier d’une AMP. Et en France, de
plus en plus de voix s’élèvent pour que l’accès à ces techniques soit ouvert à
toute femme en âge de procréer, quelque soit sa situation conjugale. Il est
vrai que cette demande a évolué ces dernières années : d’une demande de
type féministe visant à faire un enfant sans homme, on est passé à une demande
de femmes sans conjoint qui regrettent de ne pas avoir trouvé le partenaire
idéal avec qui avoir un enfant et qui sont confrontées à leur horloge
biologique. Donc elles souhaiteraient inverser l’ordre d’entrée en conjugalité
et en parenté.
De plus, il convient de
rappeler que les femmes célibataires ont la possibilité d’adopter et que les
familles monoparentales représentent une part croissante des foyers français.
Certains vont même jusqu’à
considérer qu’interdire l’accès à l’AMP pour les femmes célibataires et
l’admettre pour les couples de concubins est du point de vue des femmes très
contestable : le concubinage n’a aucune portée juridique. Et d’ailleurs
n’importe quel partenaire pourrait jouer ce rôle !
Mais ces arguments sont
cependant contestables :
Tout d’abord le fait que
d’autres pays autorisent l’accès à l’AMP aux femmes seules et aux couples de
même sexe n’implique pas nécessairement que la France doive s’aligner sur
les législations européennes.
De plus mettre en parallèle
la possibilité d’adopter pour les femmes célibataires et l’accès à l’AMP est un
raccourci hasardeux : en effet, il y a une différence fondamentale entre
ces deux modes d’accès à la parentalité. L’adoption c’est le fait de donner des
parents à un enfant qui est déjà et qui a été abandonné. Il y a là une logique
de réparation des accidents de la vie. Avec l’AMP, il s’agit d’aider un couple
infertile à avoir un enfant, prendre la décision de concevoir un enfant et la
responsabilité de la société est de veiller à lui offrir ce qu’elle considère
être les meilleures conditions possibles pour sa venue au monde.
Et puis il faut envisager
toute la portée de cette possible autorisation : en premier lieu le
nécessaire recours aux dons de gamètes avec toutes les questions que cela
suscite liées à la manière dont l’anonymat du donneur sera vécu par les enfants
en l’absence de référent paternel. En second lieu, l’accès à ces techniques par
des femmes célibataires risquerait de faire de l’AMP un mode de procréation en
dehors de toute justification médicale. Et vous voyez bien comme l’on fait
dériver l’objet de départ qui était de répondre à une infertilité pathologique
vers une réponse à une stérilité sociale. N’est-on pas en train d’ouvrir la
voie à des AMP « de convenance » ? Est-ce la vocation de la
médecine que de répondre à des désirs individuels ?
En outre, un élargissement
de l’accès à l’AMP aux femmes seules impliquerait la possibilité pour les
femmes homosexuelles de bénéficier de ces techniques. Faudra-t-il dans ce cas
autoriser ensuite le recours à la
GPA pour les couples d’hommes, par respect du principe de non
discrimination ?
Certains scientifiques dont
Claude Sureau proposent que l’accès à l’AMP soit possible pour les femmes
célibataires infertiles ? Mais comment constater médicalement
l’infertilité pathologique d’une femme qui n’a pas de partenaire ?
Le rapport Léonetti comme
le Conseil d’Etat considèrent, au vu de ces arguments, qu’il ne faut pas
élargir l’accès à l’AMP aux femmes célibataires. Mais cela reste cependant une
question très débattue, avec un certain nombre de membres de la mission
parlementaire qui se prononcent en faveur de cet élargissement.
Les couples de même sexe
En faveur de la
reconnaissance de ce droit aux couples de même sexe :
Le fait que la Belgique, le Danemark,
l’Espagne, le Canada, les Pays Bas et le Royaume Uni leur reconnaissent ce
droit.
De plus, selon l’INED, on
estime entre 24 000 et 40 000 le nombre d’enfants qui vivraient
actuellement dans un foyer composé de deux adultes de même sexe, soit vivant en
coparentalité, c’est-à-dire un homosexuel et une homosexuelle qui s’entendent
pour concevoir et élever ensemble un enfant, soit des couples de femmes qui
font appel à un donneur de leur entourage et procréent par insémination que
l’on pourrait qualifier d’artisanale.
Enfin, en faveur de la
reconnaissance, les nombreuses études qui attestent de l’absence de
conséquences néfastes sur le développement psychique de l’enfant le fait
d’avoir été élevé par un couple de même sexe. Beaucoup estiment même que la
situation actuelle s’apparente à une discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle.
Contre la reconnaissance de
ce droit aux couples homosexuels :
Tout d’abord des
psychanalystes estiment que l’enfant naît de l’union d’une femme et d’un homme
sur le plan biologique mais aussi psychique.
Concernant le parallèle
avec l’adoption, comme pour les femmes seules, la question de l’adoption pour
des personnes homosexuelles est fondamentalement différente de celle de l’accès
à l’AMP.
Concernant la question de
la discrimination, considérons la loi de 2008 qui définit la
discrimination : « situation
dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non appartenance,
vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son
âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée
de manière moins favorable qu’un autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été
dans une situation comparable. » Peut-on considérer comme comparable,
en termes de procréation, la situation d’un homme et d’une femme d’une part et
d’un couple de même sexe d’autre part ? Comment alors évoquer une
discrimination ?
En outre, il est à craindre
que l’accès à l’AMP aux couples de même sexe n’entraine la légalisation de la GPA.
Enfin cet élargissement
entrainerait une augmentation du nombre de procréations assistées avec tiers
donneur avec toutes les difficultés, déjà évoquées précédemment, de certains
enfants du fait de l’anonymat du donneur et de l’absence de référent paternel.
Et en conclusion sur ce
point, nombreux sont les avis qui considèrent que cette question ne peut être
traitée dans le seul cadre de la loi de bioéthique parce qu’elle
bouleverse l’établissement du lien de
filiation. Un consensus semble se dégager, estimant nécessaire de maintenir les
dispositions de la loi réservant aux couples composés d’un homme et d’une femme
la possibilité de recourir à l’AMP.
FAUT-IL LEGALISER LA GESTATION POUR
AUTRUI ?
Les expressions de
« gestation pour autrui » ou « procréation pour autrui »
ont longtemps coexisté avec d’autres, avant le vote des 1ères lois de
bioéthique, comme celles de « mère porteuse » ou « maternité de
substitution. » Les 1ères initiatives organisées de maternités de substitution
sont apparues en France dans les années 80, à une époque où l’on ne pratiquait
pas la FIV. Organisées
par deux associations qui mettaient en relation des couples infertiles et des
femmes susceptibles, après insémination par le sperme du conjoint, de mener à
bien la grossesse et de remettre l’enfant à la naissance. La mère porteuse
était à la fois génitrice et gestatrice et la technique ne nécessitait pas
d’intervention médicale. Ces associations ont été interdites, sans que cette
interdiction mette fin à des arrangements clandestins entre des couples et des
mères porteuses. La pratique a cependant été fortement remise en cause par un
arrêt de l’assemblée plénière de la cours de cassation du 31 mars 1991 et le
législateur de 1994 a
ensuite sanctionné pénalement le fait de s’entremettre entre un couple désireux
d’accueillir un enfant et une mère porteuse (article 227-12 du Code Pénal).
Avec l’arrivée de la FIV, il est devenu possible
techniquement de proposer à des couples dont la femme est dépourvue de fonction
utérine (à la suite d’une malformation congénitale ou d’une hystérectomie) de
réaliser une FIV avec leurs propres gamètes, puis de transférer l’embryon
obtenu dans l’utérus d’une autre femme qui n’est que gestatrice. Il est même
possible de combiner cette technique avec un don d’ovocytes, il y a alors trois
femmes qui interviennent dans le processus de procréation : la mère
génétique (donneuse d’ovocytes), la gestatrice et la mère d’intention. Il est
même envisageable, grâce à un don de sperme, que l’enfant n’ait, in fine, aucun
lien génétique avec l’homme et la femme destinés à devenir ses parents.
En 2004, au moment de la
révision des 1ères lois de bioéthique, la question n’a pas fait l’objet de
débats. Mais elle a toutefois ressurgi ces dernières années. Cette résurgence
s’explique, dans une perspective médicale, par la faculté qu’elle offre à des
couples infertiles d’obtenir des enfants issus de leurs propres gamètes en
combinant la GPA
avec une FIV. Il existe une demande spécifique de la part de femmes dont
l’infertilité est liée à une malformation congénitale (syndrome de
Rokitansky-Küster), à une intervention chirurgicale suite à un cancer ou à une
hémorragie de la délivrance, ou à une exposition in utero au Distilbène. Si le
nombre de femmes concernées parait peu élevé, leur situation devrait, selon une
partie du corps médical et d’autres partisans qui s’expriment sur le sujet,
être prise en compte au cas par cas, à titre d’exception à une prohibition de la GPA. Le contexte
international n’est pas indifférent à cette résurgence. En Europe, la GPA, interdite en Allemagne,
Autriche, Italie, Suisse et Espagne, est tolérée en Belgique, au Danemark et
aux Pays Bas et réglementée en Grande Bretagne et en Grèce.
En outre, avec la liberté
de circulation, se développe ce que l’on appelle un « baby business »
permettant à des couples français d’obtenir dans certains états des USA mais
aussi dans des pays comme l’Ukraine ou l’Inde, dans des cliniques spécialisées,
une FIV suivie d’une GPA. Lorsque ces couples reviennent en France avec des
enfants ainsi conçus, de délicats problèmes se posent pour établir la filiation
de ceux-ci.
1°. Arguments plaidant en
faveur du maintien de la législation actuelle interdisant la GPA :
La GPA ferait fi des liens qui s’élaborent entre la femme enceinte
et le fœtus pendant la durée de la grossesse, qui constituent les éléments d’un
attachement précoce. Cette négation de l’influence de la grossesse fait
redouter des conséquences dommageables pour l’enfant et pour les parents d’intention.
On peut en effet s’interroger sur ce qui persistera en lui de cette période de
gestation. On est en droit de s’interroger aussi sur la prééminence reconnue à
l’intérêt du couple qui peut l’emporter sur le souci d’assurer à l’enfant une
histoire et une lignée qui l’aideront à se construire. Il en est de même de
l’intérêt de la gestatrice, prise entre deux écueils : d’une part vivre
pleinement sa grossesse avec une probabilité d’attachement à l’enfant et donc
de séparation douloureuse après l’accouchement, d’autre part devoir se forcer à
un détachement dès le début de la grossesse, processus dont on ignore les
conséquences pour elle et l’enfant.
Les risques physiques
qu’entrainent pour la gestatrice la grossesse et l’accouchement, ceux-ci pour
satisfaire le désir d’autrui. Le droit français n’admet à cet égard les
atteintes à l’intégrité physique au bénéfice d’autrui qu’à titre exceptionnel
et pour des raisons d’ordre thérapeutique : cas des dons d’organes à
partir de donneurs vivants. Les risques médicaux y compris vitaux, encourus par
la femme enceinte et l’enfant lors de la
GPA sont réels et ceci d’autant plus qu’il s’agit de FIV avec
transfert de plusieurs embryons (risque de grossesse multiple, prématurité,
césarienne, hémorragie de la délivrance). Comment s’établit alors la
responsabilité respective des deux parties en présence ?
Risque
d’instrumentalisation et de marchandisation : la perspective d’une
indemnisation, même raisonnable et contrôlée, ne rend-elle pas illusoire la
liberté de consentement et ne risque-t-elle pas de faire de l’enfant un objet
de commerce ? De plus, l’intérêt légitime que portent les parents
d’intention à cette grossesse ne peut-elle pas constituer une atteinte à
l’autonomie de la mère porteuse, à sa vie privée et au droit exclusif que lui
donne la loi de prendre toutes les décisions relatives à sa grossesse, y
compris celui de l’interrompre dans les limites fixées par la loi ?
Enfin la mise à disposition
d’un utérus d’une autre femme au service d’un projet parental apparait à
certains comme radicalement contraire au principe de respect de la dignité de
la personne humaine de la personne humaine.
Avec l’AMP, on avait déjà
affaire à la dissociation entre relations sexuelles et procréation, avec les
FIV entre fécondation et implantation, avec les dons de gamètes entre génétique
et parenté. Avec la gestation pour autrui, on atteindrait là le degré ultime de
passage de la nature à la technique et ceci réaliserait une rupture
anthropologique majeure.
2°. Arguments plaidant en
faveur d’une autorisation de la
GPA
Ces arguments sont en
faveur d’une solidarité nécessaire que doit la société vis-à-vis des femmes
atteintes d’une infertilité utérine. Elle touche des femmes qui « ont tout
pour être mère » sauf l’utérus, tandis que celles qui n’ont pas d’ovaires
mais ont encore un utérus peuvent bénéficier d’un don d’ovocytes, et que les
femmes dont le conjoint est infertile, peuvent bénéficier d’un don de sperme.
Cela concerne la plupart du temps des femmes à qui l’on a enlevé l’utérus à la
suite d’un cancer ou après une hémorragie de la délivrance. La seule solution
qui leur reste est la GPA,
interdite en France et réservée à des couples qui ont les moyens de se rendre à
l’étranger, ce qui génère une discrimination en fonction de la situation
matérielle.
La légalisation partielle
de la GPA
donnerait à ces couples un cadre autorisé et sécurisé pour une GPA et serait
donc de nature à limiter les pratiques clandestines, l’exploitation des femmes
les plus défavorisées et à en maitriser les risques.
Sur le plan des principes,
les partisans de la libéralisation de la
GPA sous conditions opposent, au respect de la dignité, celui
de la liberté individuelle, y compris celle de femmes volontaires pour porter
l’enfant d’autrui et animées d’une authentique motivation altruiste.
Ces mêmes tenants d’une
libéralisation de la GPA
suggèrent que l’on pourrait donc être favorable à une légalisation limitée de la GPA, dans le cadre de la
médecine de la reproduction, sous le contrôle de comités spécialisés, comme
cela fonctionne pour le DAN ou les dons intra-familiaux d’organes entre
donneurs vivants qui ne donnent lieu à aucune dérive.
3°. Ce qu’en dit le rapport
du Conseil d’Etat
Pour le Conseil d’Etat, « la prise en considération de
l’intérêt de l’enfant et de la mère porteuse, principes fondamentaux qui
sous-tendent l’interdiction actuelle, conduisent donc à recommander de ne pas
légaliser la GPA. »
De plus, sur un plan
juridique, les principes qui fondent l’interdiction de la GPA sont forts :
L’indisponibilité de l’état
des personnes : la qualité de père et de mère d’un enfant ne saurait se
déduire des termes d’un contrat.
Second fondement, le
principe d’indisponibilité de corps humain qui rend illicite toute convention
sur le corps humain (ou ses éléments) que ce soit en vue d’un prêt, d’une
location ou d’un don, même si le législateur a aménagé des exceptions :
don de sang, d’organes, d’ovocytes, de tissus…)
Le Conseil d’Etat voit
aussi le risque de dérives d’une autorisation de la GPA pour raisons
médicales : n’y a-t-il pas le risque d’un glissement vers une pratique de
convenance pour des femmes qui trouveraient préférable de faire porter leur
enfant par une autre ?
4°. Dans le rapport final
des EG de la bioéthique
Les citoyens se sont
prononcés, dans leur avis, unanimement contre la légalisation en France de la GPA, en raison essentiellement
des effets conjugués de cette pratique : marchandisation,
instrumentalisation du corps de la mère porteuse. Ils ont estimé « plus important de protéger l’enfant
et la mère porteuse que de satisfaire un désir de filiation biologique. »
En conséquence, les
citoyens se prononcent contre l’accès des couples homosexuels à l’AMP :
D’abord parce qu’ils
considèrent que l’AMP intervient comme un traitement palliatif à l’infertilité
naturelle ;
Ensuite parce qu’ils
considèrent que par un effet « domino », l’ouverture de l’AMP aux
couples de lesbiennes, entrainerait une demande légitime des gays, au nom du
principe de non discrimination, de recourir à la GPA.
5°. Rapport Léonetti
Pour la mission
d’information sur la révision des lois de bioéthique, l’interdiction est
nécessaire car protectrice :
Des risques physiques ou
psychologiques qu’elle implique de faire prendre à des tiers. S’il est vrai que
certains de ces risques, et notamment les plus graves, sont statistiquement
limités, est-il cependant éthiquement acceptable, alors qu’aucun intérêt vital,
ou thérapeutique, n’est en jeu, contrairement par exemple aux dons d’organes,
de faire prendre à une personne en bonne santé de multiples risques, y compris
celui de mourir pour autrui ?
Du risque d’aliénation et
de marchandisation du corps humain, à travers l’exploitation des femmes les
plus vulnérables.
Enfin, il apparait
pratiquement impossible de définir un encadrement apte à garantir l’absence de
dérives.
Le parallèle établi parfois
entre la GPA et
l’adoption peut sembler erroné dans la mesure où l’adoption est instituée dans
l’intérêt de l’enfant pour pallier à un accident de la vie tandis que la GPA impose, d’une certaine
manière, cet accident de la vie à un enfant. Pierre Lévy-Soussan,
psychanalyste, parle ainsi de la rupture imposée : « il ne s’agit pas d’un abandon, qui est la moins mauvaise
solution décidée par une mère dans une histoire psychique compliquée, mais
d’une rupture programmée, délibérée de ce que l’enfant a vécu pendant la
grossesse. »
6°. Pour le CCNE
En dépit des arguments en
faveur de la légalisation de la
GPA, le CCNE se prononce contre, arguant qu’une légalisation,
même limitée, laisse subsister des difficultés d’ordre éthique qui sont de 6
ordres :
« Une loi n’empêchera
pas les risques qu’elle vise à prévenir. » En effet, ni les accidents
médicaux, ni les inconvénients d’ordre psychologiques ne pourraient être
totalement évités. « la mortalité
maternelle (…) n’est-elle pas encore plus insupportable lorsqu’elle survient au
décours d’une grossesse au bénéfice d’autrui. »
Il est à craindre aussi des
tentations de pression ou de chantage de la part des parents d’intention.
De plus, l’expérience de la Grande Bretagne montre
que l’existence d’un système légal et sécurisé de la GPA n’a pas mis fin à des
formes clandestines non médicalisées.
Pour le CCNE, « le fait pour un couple de vouloir
avoir un enfant qui soit génétiquement celui de ses parents n’a rien en soi de
contraire à l’éthique. Ce sont les conséquences extrêmes qui en découlent
lorsque les couples ont recours à une GPA qui est problématique. Selon le CCNE,
ce désir ou besoin légitime ne peut suffire à justifier une GPA. »
« La GPA ne peut être éthiquement
acceptable du seul fait qu’elle s’inscrirait dans un cadre médical. » En
effet, certains souhaiteraient que soient apportées à l’interdiction actuelle
des dérogations sur des motifs d’ordre médical. Mais pour le CCNE, cette
« GPA sur ordonnance » n’atténue pas les objections éthiques que
suscite le fait qu’une femme mette son corps au service d’un couple pour
permettre la réalisation du projet parental.
Si les principes fondateurs
des lois actuelles de bioéthique, notamment la dignité de la personne humaine,
la primauté de l’intérêt de l’enfant et la non commercialité du corps,
comportent trop d’exceptions, ils se vident de leur substance et n’ont plus
lieu d’être.
« La mise en œuvre
d’éventuelles règles juridiques relatives à la GPA pose des problèmes difficilement solubles au
regard de la préservation de l’intérêt des personnes. » La GPA faisant intervenir au
moins trois catégories de personne : la gestatrice, le couple d’intention
et l’enfant, pose des problèmes particulièrement ardus en matière
d’établissement de la filiation, d’autonomie et droit de décision des deux
premières catégories, de respect du principe d’anonymat. Par ailleurs, ce
respect du principe d’anonymat qu’il semble difficile à préserver avec la GPA risque, par un effet
« domino » de disparaitre aussi pour le don de gamètes. Si le
législateur souhaitait mettre fin à l’anonymat du don de gamètes, au nom du
besoin éventuel de certains enfants d’avoir accès à leur histoire, il serait
dommage que cela se fasse par un effet indirect de la légalisation de la GPA.
« La GPA pourrait porter atteinte
au principe de dignité de la personne humaine ou à l’image symbolique des
femmes. » La société française n’est probablement pas unanime sur le
contenu du principe de dignité. Cependant il se dégage au sein du CCNE une très
grande réserve à l’égard du sort que la
GPA ferait à la femme porteuse. En outre, de nombreux
témoignages attestent qu’avec la
GPA, on touche aux limites du consentement libre et
éclairé : la liberté, dans la
GPA, ne parait pas la même pour toutes les parties en
présence. On constate en effet que dans les pays qui ont légalisé la GPA, le statut social des
gestatrices est très largement inférieur à celui des couples d’intention.
« Des incertitudes
demeurent quant à l’avenir de l’enfant issu de GPA. » Les études sur le
devenir des ces enfants demeurent rares et très partielles et, devant les
interrogations et la souffrance de certains jeunes adultes issus de dons de
gamètes, il n’est pas possible de négliger l’impact éventuel à long terme d’une
dissociation entre filiation maternelle et gestation sur le psychisme des
personnes.
« La revendication de
la légalisation de la GPA
procède d’une conception contestable de l’égalité devant la loi. » Certes,
le développement des techniques d’AMP et notamment la légalisation du recours
aux gamètes d’un tiers donneur, donne le sentiment d’un engagement collectif à
surmonter toutes les formes de stérilité, vécues comme un préjudice, qu’il faut
compléter pour répondre à la situation des femmes qui n’ont plus d’utérus. Mais
le CCNE estime qu’il faut se garder d’accréditer l’idée que toute injustice, y
compris physiologique, met en cause l’égalité devant la loi. Du droit de, on
risque de glisser vers le droit à, pour atténuer le sentiment d’émotion et de
révolte qui nous étreint face à la détresse des femmes stériles. Estimer que
toute situation de souffrance mérite une solution législative conduit
rapidement à une impasse, la souffrance humaine étant à la fois éminemment
subjective et infiniment variée dans ses causes.
Quelques membres du CCNE,
dans cet avis, expriment cependant une voie discordante en émettant le vœu que la GPA, strictement encadrée de
façon à préserver la dignité et la sécurité des protagonistes, soit prévue à
titre dérogatoire dans la loi à l’occasion de sa révision.
LES QUESTIONS ETHIQUES
SOULEVEES PAR LE DIAGNOSTIC ANTE NATAL (DAN)
Le terme DAN recouvre deux
notions :
Le diagnostic prénatal
(DPN) consiste à rechercher, pendant la grossesse, des anomalies embryonnaires
et fœtales. Il peut jouer un rôle majeur dans la prise en charge de l’enfant à
la naissance voire dans certains cas rares, pendant la gestation. Mais force
est de constater que la thérapeutique fœtale a bien peu évolué : ainsi le
DPN aboutit la plupart du temps à une IMG.
Le diagnostic pré
implantatoire d’autre part qui consiste, après une fécondation in vitro, à
sélectionner les embryons indemnes de l’affection génétique recherchée,
susceptibles d’être transférés in utero.
Dans un cas comme dans
l’autre, la problématique éthique est grave et complexe puisqu’il s’agit de
décider de la naissance d’un être humain.
Après un bref rappel de
l’encadrement actuel de ces pratiques, nous envisagerons les différentes
questions éthiques soulevées et nous terminerons par l’évocation d’un cas clinique
qui illustre le dilemme éthique.
1°. Le DPN
L’encadrement actuel :
Dans le CSP, le DPN est
défini comme l’ensemble des pratiques médicales ayant pour but de détecter chez
l’embryon ou le fœtus une « affection d’une particulière
gravité ». Ce diagnostic s’opère de différentes façons : par
l’imagerie médicale surtout, c’est-à-dire l’échographie ou bien par des
prélèvements de LA, de trophoblaste ou de sang fœtal effectués alors que le
fœtus est in utéro.
Le diagnostic est à
distinguer du dépistage qui précède le diagnostic, que l’on propose à toute
femme enceinte : c’est l’analyse du sang maternel pour le dosage des
marqueurs sériques de la trisomie 21. Le dépistage permet d’établir un risque
pour l’enfant à naitre qui incite à faire des examens de diagnostic tels que
l’amniocentèse ou le prélèvement de placenta. A l’issue du DPN, s’il existe une
« forte probabilité que l’enfant à
naitre soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme
incurable au moment du diagnostic », un CPDPN peut délivrer, après
concertation entre ses membres et sur demande du couple, une attestation
permettant à celui-ci de solliciter la réalisation d’une IMG, qui peut être
pratiquée à tout moment de la grossesse.
Il est également précisé
que tous les examens autres qu’échographiques, doivent être précédés d’une
consultation médicale informant le couple sur la maladie recherchée et ne
peuvent être réalisés qu’avec le consentement écrit de la femme enceinte. Les
établissements de santé ou laboratoires de biologie médicale ainsi que les
praticiens et les CPDPN sont soumis à un régime d’autorisations par l’ARS après
avis de l’Agence de Biomédecine.
De même la pratique de
l’échographie est soumise à un ensemble de règles de bonnes pratiques, sous
l’impulsion des sociétés savantes telles que le Collège Français d’Echographie
Fœtale et la HAS.
Quelques chiffres issus de
l’Agence de Biomédecine de 2007 :
Sur 28 292 dossiers étudiés par les CPDPN (il y a 48
CPDPN en France), il y a eu :
6645 attestations délivrées
en vue d’une IMG
112 refus d’autorisations
d’IMG
475 grossesses poursuivies
avec une pathologie qui aurait pu faire autoriser une IMG.
Cela veut dire environ 6000
IMG par an en France.
Les problèmes éthiques liés
à la pratique actuelle du DPN
On recense trois catégories
de problème, l’un portant sur les risques iatrogènes, en particulier lorsqu’un
geste invasif est nécessaire pour faire le diagnostic, l’autre sur les
difficultés d’informations délivrées aux couples, le troisième sur la question
de la précocité des dépistages.
Tout d’abord sur
l’invasivité des gestes : le dépistage actuellement généralisé pour toute
femme enceinte, commence avec des techniques non invasives : l’échographie
et une prise de sang maternel. Mais si le risque est estimé élevé, les gestes
diagnostiques qui s’ensuivent (PLA, PVC) comportent un risque de pertes fœtales
de 0.5 à 1% des cas. Et l’on sait donc que l’on va devoir pratiquer des gestes
qui comportent un risque de pertes fœtales pour des fœtus sains.
Le second problème a trait
à l’information des couples. Une information a une réelle valeur éthique quand
elle éclaire, sans les dicter, un choix qui reste ouvert sur plusieurs
possibilités d’action. Or la caractéristique de cette information est qu’elle
est extrêmement complexe : tout d’abord elle est anxiogène. Et les
professionnels de l’obstétrique savent qu’on n’a pas besoin de cela pour que
l’angoisse et l’anxiété se manifestent chez la femme enceinte. Ensuite elle est
complexe : introduire pour les couples la notion de risque statistique est
extrêmement complexe et difficile à appréhender, et se surajoutent souvent des
problèmes de barrière linguistique, des personnes qui ont des difficultés de
compréhension etc. Et enfin lorsqu’on s’engage dans des examens de dépistage et
diagnostic, on sait que l’on va devoir attendre des résultats, temps qui dans
le meilleur des cas, peut être mis à profit pour permettre une réflexion
anticipée, ce qui en pratique est rarement le cas. Les professionnels savent
combien ce temps est chargé d’angoisse qui nécessite un accompagnement. Les
techniciens raisonnent en pourcentages, les couples en binaire : c’est
tout blanc ou c’est tout noir. Et ce temps d’attente anxieuse contribue
singulièrement à assombrir leur univers jusque là plein d’espoirs.
Le troisième ordre de
difficultés concerne la précocité des dépistages. Certes on ne peut
qu’encourager des explorations qui réduiront l’impact psychologique pour les
femmes d’un diagnostic fait tardivement avec la possibilité de réalisation
d’une IMG au moment où elles sentent bouger le bébé. Il faut cependant réaliser
que le dépistage de la trisomie 21 par l’échographie du 1er
trimestre et les marqueurs sériques maternels est effectué alors que l’IVG est
encore possible ce qui soulève de nouvelles questions.
Je me souviens d’une
patiente vue en échographie, à peine à 12 SA, à qui j’avais découvert chez son
fœtus une hyperclarté nucale. Dans ce cas, la procédure nous indique d’adresser
la patiente à un CPDPN pour confirmation du signe observé et pratique le cas
échéant d’une PVC. Le rendez-vous est programmé deux jours plus tard. Un
résultat provisoire du caryotype est rendu 48h après le rendez-vous : il
ne présente aucune anomalie. Le résultat rassurant est communiqué à la patiente
qui annonce qu’elle a fait une demande d’IVG, ne pouvant supporter l’idée du
doute. J’ai été fortement touchée par cette histoire et je me suis demandée
longtemps ce qui, dans l’information délivrée, avait à ce point pu conduire à
en surestimer le risque. En tout cas il semble incontestable qu’une annonce
lors d’un examen échographique marque fortement l’esprit des futurs
parents : il sera difficile d’en effacer les traces. Et ce cas illustre
bien l’exigence en matière d’informations, pour prévenir la violence d’une
communication brutale et non empathique.
2°. Le DPI
Il s’agit d’un diagnostic
biologique réalisé sur les cellules d’un embryon conçu après FIV afin
d’identifier le ou les embryons indemne de l’affection recherchée, susceptibles
d’être implantés dans l’utérus.
On est là face à des
couples qui se savent porteurs d’un gène délétère susceptible d’être transmis à
leur descendance. Ce sont des personnes, parfois eux-mêmes malades, qui ont été
touchées très lourdement par la maladie dans leur famille, parfois même avec un
premier enfant malade. Le DPI leur permet de retrouver un projet de grossesse
possible alors même qu’ils auraient renoncé à mettre au monde un enfant qui
risquerait d’être atteint. Autre avantage celui de faire un « tri »
avant l’implantation pour leur éviter la souffrance de l’IMG si le diagnostic
était réalisé pendant la gestation.
Les conditions du DPI sont
aujourd’hui plus strictes que le DPN.
Il existe à ce jour trois
centres de DPI en France. Environ 300 demandes de DPI sont déposées
annuellement en France auprès de ces centres. En 2007, 50 enfants sont nés à la
suite de sa mise en œuvre. Cependant faute de moyens appropriés, ces centres
sont actuellement dans l’impossibilité de répondre à la demande des couples, ce
qui entraine un délai entre la demande et la première tentative de DPI qui est
actuellement de 1 ou 2 ans selon les centres, ce qui constitue une perte de
chances à mesure que l’âge de la femme augmente.
Les questions qui se posent
sont les suivantes : faut-il augmenter les moyens donnés à la mise en
œuvre du DPI et par extension en élargir les indications ? Cet
assouplissement des conditions du DPI n’induirait-il pas des risques
supplémentaires d’eugénisme ? Certains exemples étrangers témoignent des
risques de dérives : près de 10% des DPI seraient ainsi pratiqués aux USA
pour le choix du sexe de l’enfant. Au Royaume Uni, le DPI est systématiquement
proposé à toutes les femmes de plus de 35 ans qui ont recours à une AMP.
A la question de savoir
s’il faut élargir le DPI, le CCNE répond que les garde-fous législatifs
n’appellent pas de remise en cause : il est essentiel de ne pas accepter
l’idée qu’une demande de DPI pourrait être recevable alors qu’elle ne le serait
pas pour une IMG. L’interdiction que l’on pourrait lever serait celle de rechercher
une T21 à l’occasion d’un DPI pour maladie génétique, position défendue par le
CCNE et le rapport Léonetti. En revanche, lors d’une FIV
« classique » pour infertilité et non des antécédents génétiques
familiaux, il ne semble pas opportun de procéder à une recherche d’anomalies
chromosomiques avant l’implantation utérine. Il s’agirait alors d’effectuer un
geste supplémentaire, une biopsie de cellules de l’embryon alors qu’on est
encore dans l’impossibilité de démontrer formellement l’innocuité à long terme des
gestes effectués lors du DPI.
De même le recours au DPI
au motif que la qualité de la vie de la famille serait augmentée par la
possibilité de choisir le sexe de l’enfant, ou bien s’il bénéficiait d’une
caractéristique physionomique ou sensorielle n’est pas recevable. Seul
l’intérêt des couples serait ici pris en compte. L’enfant est traité comme un
objet qui obéit à la commande et à la programmation. Ces usages constitueraient
des formes de dévoiement de la médecine.
3°. Les questions éthiques
La première question qui se
pose concernant le DAN est celle de sa finalité ou en d’autres termes :
peut-on parler de pratiques eugéniques ?
La deuxième question est
celle de la gravité et de l’incurabilité de l’affection selon les propres
termes de la loi. Si l’incurabilité est assez facile à évaluer, la gravité
n’est pas une catégorie déterminable de façon générale mais nécessite une
approche au cas par cas. Comment dès lors les couples qui sont au final les
seuls décisionnaires vont-ils pouvoir participer à la détermination du degré de
gravité et de ses conséquences sur leur vie ultérieure avec l’enfant ?
Peut-on parler de pratiques
eugéniques ?
On trouve dans le Code
Civil l’article suivant : « toute
pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est
interdite. » Et ce que le législateur a retenu comme définition de
l’eugénisme est celle « d’un
programme politique, hygiéniste et idéologique, visant à améliorer l’espèce
humaine ».
Actuellement les
professionnels de santé ne sont pas astreints à des directives imposées par les
pouvoirs publics incitant les femmes à recourir à une IMG. Ils sont tenus à
délivrer l’information, notamment d’informer systématiquement chaque femme
enceinte de l’existence d’un test de dépistage de la T21. On perçoit bien cependant
combien la différence entre obliger à dire et inciter à faire est ténue. Et
puis le dépistage voire le diagnostic (une fois franchi un seuil de risque)
sont pris en charge par l’Assurance Maladie.
Et concernant le dépistage
de la T21, rappelons
qu’il s’agit d’une maladie pour laquelle il n’y a pas de traitement. De là à
considérer la mort, par l’IMG, comme un traitement…
Faut-il pour autant
considérer l’IMG comme un mode de prévention ? Il s’agit d’un raccourci
qui me semble discutable. Certes, on peut penser qu’une IMG est là pour
« prévenir » la souffrance morale des couples. Mais ne perdons pas de
vue cependant que c’est d’abord et avant tout dans l’intérêt direct de l’enfant
à naitre qu’un dépistage ou un diagnostic sont effectués.
Faut-il considérer que le
dépistage généralisé de la T21
résulte d’une politique eugénique ?
Je reprendrai à mon compte
4 axes d’analyse tels que nous les proposait Israël Nisand lors d’un congrès
récent de périnatalité. On peut considérer qu’il y a 4 conditions à réunir pour
considérer une pratique comme eugénique :
Discriminatoire
Coercitive
Ayant un fondement
génétique
Dont le but est la
sélection.
Pour la 4ème
condition, la réponse est oui concernant le DAN : il y a bien une
sélection des enfants à naitre. Mais il n’y a pas de fondement génétique dans
le sens d’amélioration de la race au sens d’élimination des gènes délétères. Au
contraire, le DAN, et surtout le DPI, permet aux couples à risque de procréer,
donc il permet la naissance de porteurs de gènes à l’état hétérozygote,
c’est-à-dire qu’ils ne s’exprimeront pas chez eux, mais qu’ils pourront
transmettre eux-mêmes.
S’agit-il d’une pratique
discriminatoire ? Oui si la qualité de l’information n’est pas la même
pour tous, si elle est tronquée, ou si elle est incitative. Et on arrive
justement à la dernière des conditions : s’agit-il d’une pratique
coercitive ? Très clairement je réponds non : aucune des étapes
(dépistage, diagnostic, IMG) n’est obligatoire. Alors bien sûr, il peut y avoir
des personnes que l’on manipule au travers de la communication mais il s’agit
là de pratiques à mon sens répréhensibles. La coercition, on peut cependant
l’entrevoir par le fait de l’extrême difficulté dans l’accueil des handicapés,
qui laisse les couples dans la détresse et la solitude. Alors oui, si ce pays
ne veut plus se donner les moyens de l’accueil des handicapés et des plus
faibles d’entre nous, alors la pratique du DAN est fortement coercitive.
En conclusion sur ce point,
en reprenant les termes du CCNE, « la
puissance publique ne saurait être accusée de mettre en œuvre une pratique
eugénique, il importe cependant de veiller à ce que les choix des couples ne
soit pas menacé par un climat idéologique incitatif. »
Sur l’appréciation de la
gravité des affections :
Lorsque le DPN permet de
déceler une affection fœtale pour laquelle aucune intervention préventive ou
curative n’est envisageable, le couple peut formuler une demande d’IMG. Sa
demande est alors examinée par un CPDPN qui appréciera la gravité et le
caractère incurable de la maladie.
Un des problèmes éthiques
majeurs est de savoir comment évaluer cette gravité.
Le législateur n’a
volontairement pas voulu faire une liste d’indications, il appartient à chaque
CPDPN d’apprécier au cas par cas si la demande est fondée et correspond aux
critères de gravité et d’incurabilité.
Il existe une diversité de
situations et l’appréciation de la gravité est souvent associée à la souffrance
attendue pour l’enfant à naitre mais aussi pour ses parents.
Pour l’enfant à
naitre :
On a tendance à penser que
la souffrance morale engendrée par le handicap est moindre quand le handicap
est mental : on peut penser qu’il n’y a pas de conscience du handicap.
Mais on peut aussi penser qu’il sera plus exposé à des souffrances intimes du
fait de l’impossibilité où il se trouve de les exprimer. De plus, dans le cas
de maladies génétiques, l’appréciation de la gravité est rendue complexe par la
variabilité d’expression de la maladie. C’est souvent en explorant l’histoire
familiale que les CPDPN peuvent prévoir la gravité de la maladie.
Et puis la gravité de la
maladie est également liée aux conditions d’accueil et à la qualité de prise en
charge dont l’enfant pourra bénéficier par sa famille mais aussi par les
structures d’accueil que lui réserve la société. C’est pourquoi les CPDPN, dans
leurs séances d’évaluation des dossiers, doivent toujours évaluer ces
paramètres extra-médicaux et notamment mesurer les difficultés relationnelles
et contextuelles que l’enfant va rencontrer au cours de sa vie.
Pour les couples et les
familles :
Dans la mesure où la
souffrance de l’enfant est liée au contexte relationnel, il est alors
indispensable de s’interroger sur la souffrance des couples et de son
entourage. Et l’on pense en particulier à la fratrie.
Il me semble tout d’abord
juste de rappeler qu’il n’est pas exact que les couples recherchent
« l’enfant parfait » ou qu’ils sont prêts à demander une interruption
de grossesse à la moindre suspicion d’anomalie mineure. Dans l’immense majorité
des cas, les couples veulent des enfants à qui il soit épargné le plus de
souffrance.
On sait que dans
l’appréciation de la souffrance ressentie par les couples vont entrer en jeu
des éléments personnels tels que les convictions personnelles, les croyances,
la culture, des craintes à l’idée que leur enfant leur survive sans qu’il sache
à qui sera confiée la prise en charge. Et tout ceci est très difficile à
mesurer par les CPDPN, l’appréciation de la capacité des familles à faire face
à cet évènement. C’est pourquoi les équipes des CPDPN sont des équipes
pluridisciplinaires qui ne se limitent pas aux seuls acteurs médicaux :
elles comportent en effet la présence d’un psychologue.
Dans certains cas, la
démarche d’une IMG est plus éprouvante encore pour les femmes que l’idée d’avoir
un enfant atteint d’une affection grave. C’est pourquoi certaines familles,
même lorsque les informations médicales les autorisent à recourir à une IMG,
décident de poursuivre la grossesse, ce qui peut engendrer d’autres questions
de prise en charge à la naissance de l’enfant : faut-il réanimer un enfant
lourdement handicapé ? Lui faire subir des interventions chirurgicales
très lourdes dont sa survie dépend ? Et si l’enfant est viable malgré tout
alors que l’affection était considérée comme létale et laissait peu de chances
de survie ?
Encore une question, c’est
celle à l’inverse de la situation suivante où un couple en souffrance demande
une IMG alors même que l’équipe du CPDPN estime qu’il ne s’agit pas d’une
affection grave et incurable ? Ces cas sont heureusement assez
marginaux : en effet dans la pratique, on observe très peu de discordances
entre les conclusions des CPDPN et les attentes des couples. Mais cependant,
quand ces situations se présentent, que penser du fait qu’un être humain en
gestation, qui plus est affecté d’un handicap, ne soit plus désiré par sa
famille ? Ceci ne constitue-t-il pas des risques de souffrances encore
plus importants que ceux liés au seul handicap ?
On serait en droit de se
demander s’il faut livrer l’appréciation de la gravité aux seuls CPDPN ou s’il
ne fait pas impliquer davantage les parents dans le choix, considérant qu’ils
sont meilleurs juges de ce qu’ils sont capables d’accepter. Cette option me
semble éthiquement discutable : ne s’agirait-il pas de faire porter tout
le poids de la responsabilité sur les couples. Il faut que la
pluridisciplinarité des CPDPN continue de garantir des appréciations les plus
justes, si ce n’est les meilleures au moins les moins mauvaises, pour chaque
cas dans sa singularité.
Il ne semble pas non plus
nécessaire que soit établie une liste de maladies rendant acceptable le
DAN : elle serait susceptible de devenir normative et substituerait une
procédure standardisée à l’analyse au cas par cas.
De nouveaux problèmes
éthiques sont entrevus aussi liés aux perspectives d’un DAN ultra précoce :
en effet, on sait que l’ADN fœtal circulant dans le sang de la femme enceinte
est désormais accessible. Outre que cela permettrait un dépistage génétique
ultra précoce avec un risque d’interruptions de grossesse pratiquées au moindre
doute, les connaissances délivrées par les tests génétiques sont de nature
probabilistes, c’est-à-dire qu’il est difficile de définir le pronostic exact
de la découverte d’une mutation génétique en termes de gravité de l’atteinte.
Il est à redouter également que ces tests soient disponibles auprès d’officines
privées via internet, sans accompagnement médical approprié.
Pour illustrer le dilemme
éthique auquel on est confronté face à un diagnostic positif et clore mon
intervention, j’ai choisi de vous rapporter un cas clinique récent.
Il s’agit de Mme D. que je
rencontre lors de sa 1ère échographie qui est en règle générale
réalisée à 2 mois et demi de grossesse. Mme D. a la trentaine passée, elle est
mariée. Vit déjà au foyer une petite
fille de 2 ans en bonne santé. Cette seconde grossesse était désirée.
A l’échographie, on
découvre qu’il s’agit de jumeaux, ce que le couple découvre en même temps que
nous étant donné que l’image saute aux yeux. Le couple réagit assez violemment
à cette découverte et en même temps c’est comme un mauvais pressentiment qui se
réalise : Mr D. est lui-même jumeau, ils avaient déjà évoqué ensemble ce
risque et le redoutaient. En effet ils vivent loin de leur famille, Mme D. a un
nouveau travail, leur premier enfant est encore petite.
Mais ils n’ont pas encore
fait le tour de leurs émotions quand on leur annonce que l’un des deux jumeaux
est porteur d’une hyperclarté nucale. Face à une hyperclarté nucale, on sait
que statistiquement le risque d’aberrations chromosomiques est de 25%. Ce signe
peut aussi révéler l’existence de malformations telles que des malformations
cardiaques. Il y a donc 75% de chances que ce jumeau n’ait rien mais, dans
l’état actuel des observations, il y a aussi risque que les deux jumeaux soient
affectés étant donné qu’on ne sait pas encore s’il s’agit de jumeaux
homozygotes ou hétérozygotes.
La patiente est envoyée à
Lyon au CPDPN où une ponction de trophoblaste est effectuée sur le jumeau
atteint : le résultat tombe trois jours plus tard, il s’agit d’une fille
trisomique. Il est alors indispensable de faire un caryotype sur le 2ème
jumeau mais celui-ci est indemne de l’affection.
Monsieur et Mme D. sont
informés que la trisomie 21 peut justifier une IMG s’ils en font la demande.
Cette IMG sera alors sélective, avec le risque de provoquer l’arrêt complet de
la grossesse.
Mr et Mme D. sont placés
face à un choix très douloureux :
Soit ils choisissent l’IMG pour le jumeau trisomique en
prenant le risque de sacrifier son frère indemne, ce qui plonge Mme D. dans une
très grande détresse. De plus, l’idée de faire un tri entre les deux et de
faire mourir la sœur pour le frère restant est une grande souffrance pour le
couple : que lui dira-t-on plus tard ? nous confient-ils ?
La deuxième option est de laisser évoluer la grossesse et
d’accueillir des jumeaux dont l’un des deux est trisomique. On sait combien
l’arrivée de jumeaux fragilise les couples et ce couple-là redoutait d’avoir
des jumeaux. On imagine aisément l’épreuve supplémentaire d’élever des jumeaux
dont l’un des deux est porteur d’un handicap aussi lourd.
Souffrance des couples mais
aussi dilemme et peut-être souffrance des soignants aussi qui doivent assumer
la responsabilité d’une décision : celle d’autoriser l’IMG en sachant tous
les risques d’arrêt de la grossesse. Primum non nocere, en premier ne pas nuire
comme est formulé le premier principe déontologique. L’IMG sélective est
possible même si elle est délicate : il s’agit d’être sûr de ne pas faire
d’injection létale au jumeau sain, mais est-on bien sûr :
De ne pas nuire au frère indemne en provoquant sa
mort ?
De ne pas nuire au couple par les conséquences de nos
gestes ?
De ne pas nuire à l’enfant
survivant en lui faisant porter toute sa vie le poids du sacrifice de sa sœur
malade ?
Monsieur et Madame D. ont
choisi de demander l’IMG sélective et la grossesse évolue normalement.
Conclusion :
Au final, que faut-il
attendre de cette nouvelle législation sur la bioéthique puisque, comme on
vient de le voir, les arguments déployés actuellement ne plaident pas en faveur
d’un chamboulement législatif ?
Ce qui est susceptible
d’évoluer concerne les règles suivantes :
L’autorisation du transfert
d’embryon post mortem à titre exceptionnel lorsque le projet parental était
engagé avant le décès du conjoint ;
L’autorisation du dépistage
de la T21 lorsque
les embryons font l’objet d’un DPI ;
La création d’un nouveau
centre de DPI.
Ce qui va être très
discuté :
La levée de l’interdiction
pesant sur la recherche sur l’embryon, soutenue par la communauté scientifique
française, avec adoption d’un régime d’autorisations sous conditions alors
que beaucoup pensent qu’il faut maintenir le principe de l’interdiction de la
recherche sur l’embryon et n’autoriser les recherches à titre dérogatoire après
avis du Conseil d’orientation de l’Agence de Biomédecine ;
La levée de l’anonymat du
don de gamètes pour répondre à la souffrance des enfants devenus adultes, issus
d’un don de gamètes et qui souffrent de l’ignorance de leur parenté biologique.
Mis à part ces points là,
les grands principes ne devraient voir aucune évolution. Nombreux sont
d’ailleurs les voix, et le Conseil d’Etat en fait partie, qui estiment qu’un
réexamen régulier de la loi n’est plus nécessaire. Ce choix se justifiait avec
les premières lois de bioéthique parce qu’elles posaient des règles dans un
domaine largement nouveau pour le législateur. Cela pouvait de nouveau
s’entendre en 2004 alors que l’on ressentait encore des hésitations de la part
de la représentation nationale vis-à-vis de la question de la recherche sur
l’embryon. Beaucoup pensent que le temps n’est plus de poser de nouveaux
principes mais plutôt de mettre en œuvre ces principes au travers de
règlementations sectorielles en matière de règles de bonnes pratiques, de libre
appréciation des patients et de dialogue avec les équipes médicales. Comme si
le droit était arrivé à un point d’équilibre.
Alors pourquoi certaines
législations autour de nous vont sembler à certains plus en avance, trop
permissives pour d’autres ? La législation d’un pays est-elle le reflet de
l’évolution d’une société ? On peut certainement considérer que la
législation de notre pays est en retard
pour des points que l’on a évoqués ce soir : beaucoup diront en effet
qu’autoriser l’AMP pour les couples homosexuels, légaliser la GPA ne ferait qu’entériner une
situation de fait, étant donné le nombre de nos concitoyens qui contournent la
législation en vigueur.
N’est-ce pas d’ailleurs ce
que l’on a fait lorsque l’on a légalisé la pratique de l’IVG, d’autant plus
qu’il y avait urgence en matière de santé publique et de protection des
femmes ? Et en même temps, si l’on reprend le climat extrêmement polémique
dans lequel se sont tenus les débats, on peut penser que la loi était en avance
sur les valeurs de la société de l’époque. N’en était-il pas de même au moment
où l’on a voté l’interdiction de la peine de mort ?
Dans un contexte de
mondialisation des échanges et des services, nos principes nationaux semblent
bien difficiles à tenir et il y a peu à espérer de la ratification de traités
internationaux. Les défis à relever sont probablement plus du côté de la
culture, de l’éducation et de la démocratisation du savoir notamment en matière
de génétique, pour éviter les dérives vers une médecine prédictive telles que
le recours par exemple à des tests génétiques sur internet via des sociétés
commerciales privées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.