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Une spiritualité christique Contribution à la quête de spiritualité de la société De Bernard Michollet

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   

Une spiritualité christique
Contribution à la quête de spiritualité de la société

                                                              De Bernard Michollet

 

    En écho au texte de Philippe Abel [1], véritable manifeste pour une spiritualité contempo­raine, je propose une réflexion sur la spiritualité en résonance avec le vécu du Christ [2]. Cette approche induirait sûrement des inflexions dans la définition du terme spiritualité. Et il s’ensuivrait alors une définition de la « crise spirituelle de la société ». Pour favoriser le dialogue, je laisse ouverte la définition — nul, d’ailleurs n’en est dépositaire — et acquiesce à toutes les articulations possibles de la spiritualité avec la religion, la philosophie et la société.
En tant que théologien, c’est à partir de la quête philosophique que je souhaite réfléchir. Comme Philippe Abel qui « se reconnaît davantage dans les liens entre spiritualité et philoso­phie », je pense que l’impasse sur la raison humaine ne permet pas de développer sérieuse­ment une spiritualité qui humanise. Pourtant, je ne me déroberai pas à la question de son rap­port avec la religion. Et parce que je pense que ce n’est pas tant la religion qui nous intéresse et qui intéresse nos contemporains, je proposerai d’articuler cette « spiritualité rationnelle » avec la confiance mise dans Jésus de Nazareth, confessé comme Christ — autre­ment appelée « foi chrétienne ». À ce point, ce n’est pas tant la religion qui va poser question — car les écrits néo-testamentaires en font un problème réglé —, mais plutôt le procès que saint Paul fait à la sagesse des hommes (appuyée sur la raison) au nom de la sagesse de Dieu (la croix de Christ Jésus) dont il est bien conscient qu’elle n’est que « folie aux yeux des hommes ».
Voici comment je propose d’avancer sur ce chemin. D’abord la mise en perspective d’une phénoménologie de la spiritualité — sans prétention — nous permettra d’aborder la question de la “ spiritualité de Jésus de Nazareth ”. Puis nous pourrons prendre en compte la notion de logos exploitée dans l’évangile de saint Jean pour la mettre en résonance avec la raison humaine. Enfin, nous tenterons de relever le défi de Paul : sagesse ou folie, que peuvent les hommes ?

1.    Une spiritualité rationnelle ?

Pour entrer dans notre recherche, interrogeons-nous sur la notion que je délivre dans ce titre. En français, le terme esprit désigne à la fois la capacité de l’homme qui s’élève au-dessus de lui-même selon une pensée, par une éthique ou dans un champs relationnel (la société, l’humanité dans son ensemble, voire la nature ou une forme de transcendance) ; et proprement la capacité intellective (la raison, l’intelligence et la mémoire). Nous sommes essentiellement tributaires de Descartes pour la fusion des deux significations. Pourtant il n’innovait pas complètement, il s’inscrivait dans une longue tradition scolastique qui avait placé la raison, la pensée ou l’intellect à la pointe de l’âme humaine pour envisager la rencontre avec Dieu. La langue française n’offre pas l’aide du latin avec son doublet spiritus / mens ou de langues modernes telles que l’anglais avec spirit / mind [3].
Il faudrait ajouter à cette recherche linguistique les nuances des termes hébreux (ruah / nephesh / machashabah) et grecs (pneuma / noûs). Le terme de ruah, traduit massivement par pneuma dans la Septante a pour signification espace, vent, esprit (spécifiquement pour Dieu). Dans le monde grec, le pneuma qui désignait également le vent s’est vu affublé de la signification de dynamisme vital (il est repris par les Stoïciens pour désigner l’âme du monde). La parenté sémantique est nette. Par contre, pour que le noûs — philosophique — qui est aussi espace de liberté pour l’homme, soit rapproché du pneuma — d’origine religieuse —, il faudra des siècles, d’influence chrétienne entre autres [4].
Descartes symbolise bien — avec Spinoza selon une autre modalité — un tournant. Il a fusionné l’âme de l’homme avec son esprit (raison, pensée) pour la river à un corps mécanique [5]. En cela, il a tourné le dos aux médiévaux qui reconnaissaient une âme — non rationnelle, et donc inapte à se tourner vers Dieu — aux animaux. Ce détour nous permet de débusquer l’une des raisons de l’usage synonymique de termes tels que : esprit, raison, pensée, éthos. Le pneuma qui est souffle pour la raison et pour la manière de vivre les investit tellement qu’en français, il devient leur désignation. L’esprit est tout autant une pensée — je devrais dire un penser, un acte — qu’une attitude. L’esprit est l’homme en tant qu’il pense et en tant qu’il vit d’une certaine manière.
Ainsi la « spiritualité rationnelle » pourrait être la quête rationnelle de valeurs altruistes enracinées dans une conception de l’homme qui l’arrache à ses aliénations possibles. Elle se conjugue ou non avec l’affirmation d’une transcendance absolue selon que l’on pense que l’immanence est aliénante ou elle-même espace d’épanouissement de la liberté. Elle est la plupart du temps un écho de l’affirmation de Blaise Pascal selon laquelle « l’homme passe infiniment l’homme » soulignant combien celui-ci reste un mystère pour lui-même [6].
Par petites touches, j’ai introduit — consciemment — des expressions ou des termes tels que « spiritualité humanisante », « liberté », « choix ». Cela renvoie bien entendu à une con­ception de l’homme qui mériterait d’être développée. Mais je l’indique pour bien souligner qu’une spiritualité n’impose pas automatiquement un type de valeurs [7]. Traditionnellement, et cela dans toutes les civilisations, elle correspond à la « quête de sagesse ». La philosophie rapportée à cette recherche fut dominante jusqu’à l’époque moderne. Elle retrouve aujour­d’hui ses lettres de noblesse grâce à quelques penseurs [8].
S’il en est ainsi aujourd’hui, pouvons-nous aussi dégager une spiritualité de Jésus de Nazareth ?

2.   La spiritualité de Jésus de Nazareth

Il est rare d’aborder Jésus comme un homme en quête de spiritualité. Pourtant la question trouve de la pertinence depuis quelques décennies. En effet, les recherches sur Jésus, Juif du Ier siècle immergé dans son milieu, sont nombreuses dans l’univers chrétien mais également dans le monde juif contemporain. S’agissant de poser la question d’une spiritualité de Jésus, il faut veiller à ne pas faire d’anachronisme. Notre définition de la spiritualité peut entrer en résonance avec ce qui serait l’équivalent pour Jésus. Or en cela, Jésus, homme de son temps, appartient à une culture qui mêle étroitement des croyances, des pratiques et une réflexion. Comme toutes les cultures prémodernes, la sienne ne distingue pas les domaines. Les cultures de son environnement païen fonctionnaient de la même façon : les croyances religieuses et les connaissances du monde faisaient un tout avec sa structure hiérarchisée. Au sein de cette unité, les individus se frayaient un chemin personnel qu’on pourrait qualifier de spirituel.
La question pendante est celle de savoir si l’univers judaïque permettait des parcours individuels bien différents de ceux que connaissaient les païens. Cela pourra peut-être apparaître avec la description de la spiritualité de Jésus [9].
Envisager la spiritualité de Jésus, cela signifie supposé connu son cadre culturel pour l’évaluer. La culture de Palestine du Ier siècle est marquée par le judaïsme officiel (centré sur le Temple), le développement de groupes religieux réformateurs (les Esséniens, les Pharisiens, les Baptistes) marquant la tension spirituelle qui traverse le peuple. D’une part, la Loi en ce qu’elle est d’appel à la vie mais aussi de contraintes est en tension avec le prophétisme qui est une interpellation collective et individuelle. Ainsi la sagesse qui s’est élaborée dans la tradition juive est une accumulation de conseils éthiques comme dans d’autres cultures, mais est traversée par un autre souffle : ces conseils découverts par la raison sont portés à incandescence par le prophétisme. Ainsi, la référence à une transcendance absolue conduit à l’émergence dans ce peuple des notions d’égale dignité de ses membres et de responsabilité de chacun. Une certaine intériorité émerge ainsi.
Jésus, héritier de ces traits culturels, les met en œuvre. Il est manifestement un bon Juif religieux. Pourtant il apparaît comme un homme qui se détache de son milieu. Quelques traits suffiront pour l’instant à nous aider à le saisir. Manifestement il s’est comporté librement avec les prescriptions légalistes de la religion [10]. Il les honorait généralement, sauf si elles contre­venaient à ce qu’il jugeait supérieur : le bien de l’homme. Il déplace la sacralité de la religion vers l’homme au nom de la transcendance dont il se réclame. L’homme, image de Dieu, devient central.
Jésus n’a fait acception d’aucune personne : les membres du « Peuple de Dieu » comme les étrangers païens, les riches comme les pauvres, les hommes comme les femmes, les « purs » comme les pécheurs ont droit à ses égards. Les premiers n’ont rien de plus que les seconds. Jésus transgresse les frontières politiques, sociales, sexistes, religieuses. Ce faisant, il donne toute son expansion à la Loi de Moïse déjà traversée du souffle des prophètes. Jésus transgres­sera même la frontière entre la terre (des hommes) et le ciel (de Dieu) en affirmant qu’aucun lieu n’est privilégié par Dieu pour l’adorer, mais que « c’est en esprit et en vérité que les hommes adoreront le Père désormais » (Jn 4, 23). Lui-même se présentera comme transgressif en témoignant d’un lien intime exceptionnel avec la transcendance et en en revendiquant l’autorité (en pardonnant, en discutant ce que Dieu avait édicté à travers Moïse, etc.). Il laisse entendre à ses auditeurs que le voir, l’entendre, — le manger, — c’est avoir affaire à Dieu.
Ainsi, un souffle singulier passe dans la vie de Jésus. Il est bien un homme pétri de sages­se, et en cela il n’est pas un farouche révolutionnaire, tout en portant à un degré d’incandes­cence encore inégalé par les prophètes les appels de la Loi. À ce titre-là, Jésus a bien une spiritualité. La richesse de sa vie (d’ailleurs bien difficile à établir précisément lorsqu’il s’agit de la vie historique parce qu’elle a été recouverte par les relectures des disciples) est telle que les traits mis en relief aux différentes époques de l’histoire ont pu beaucoup varié. Néanmoins dans tous les cas, ce sont des déplacements qui sont relevés : la bienveillance, l’amour et le pardon en lieu et place de la méchanceté, de l’indifférence méprisante et de la vengeance ; la paix en lieu et place de la violence ; le don en lieu et place de l’accaparement ; etc [11].
Cette spiritualité, Jésus l’a assumée et l’a diffusée. Il a fait passer son souffle à ceux qui se laissaient toucher par sa vie et sa parole, qui l’admiraient et ont fait le choix de s’inspirer de sa manière d’être [12]. Pour vivre selon cette spiritualité, Jésus n’a pas nié sa valeur à la raison ou à la sagesse humaine. Il s’en est pris à leur dévoiement. Cela explique peut-être que le christianisme primitif a davantage cherché à discuter avec les écoles philosophiques qu’avec les religions à mystère ou avec le paganisme (qu’il combattait à la suite du judaïsme) [13].
Le logos avec toutes ses harmoniques va devenir central dans la pensée chrétienne.

3.   La spiritualité du Logos

L’évangile selon saint Jean s’ouvre sur un prologue qui a orienté une grande part de la pensée ultérieure. Utilisant le concept grec de logos, avec des accents proprement judaïques, l’auteur construit une théologie originale. Le logos — la parole, la raison — qui est auprès de Dieu, en Dieu, Dieu même se donne à voir dans Jésus de Nazareth. C’est bien Dieu qui est désigné ainsi, Dieu dont l’homme est l’image reconnue dans sa raison. Comme la raison est l’expression de l’homme et le caractérise, le logos de Dieu, son expression intime prend chair en Jésus. Jésus est d’emblée confessé comme expression de Dieu, et pensé comme homme à partir de sa raison. Ainsi ce que véhiculaient les traditions juives sur la Torah qui était avec Dieu avant la création du monde est exploité par l’auteur pour interpréter l’événement Jésus de Nazareth.
Quelques conséquences sont à tirer immédiatement pour notre recherche. D’abord ces af­firmations néo-testamentaires soulignent la « connaturalité » de l’homme avec Dieu à travers le logos, soit la parole, la raison [14]. Jésus de Nazareth, être de raison, sujet de pensée, est celui qui déploie indistinctement une liberté humaine et divine. Comme nous l’avons décrite, la spi­ritualité de Jésus de Nazareth est un déplacement des pratiques coutumières, un dépassement des enfermements et un parachèvement d’orientations déjà données par les prophètes.
Lorsque les chrétiens affirment que l’esprit qui a animé le logos de Jésus de Nazareth est celui de Dieu, cela peut s’interpréter aussi dans un autre sens. Cela signifie que le logos — donc la parole, la raison — est susceptible d’être animé par cet esprit qui anime le logos de Dieu. Hegel a voulu tirer une interprétation générale de cette affirmation en rapprochant — jusqu’à les confondre, disent certains commentateurs — le logos de Dieu et celui de l’homme, s’interprénétrant portés par un seul esprit, celui qui guide l’humanité. De l’héritage hégélien, s’ajoutant à celui des autres philosophes des Lumières, la modernité a conservé une grande confiance dans la raison pour déployer ses virtualités.
Sont-ce justement les crises du XXe siècle — les guerres, l’utilisation de la science au service du crime, la technoscience associée au libéralisme destructeur des communautés humaines, l’exploitation outrancière de la nature, etc. — qui auraient ouvert un nouveau chapitre, celui de la spiritualité ? L’héritage hégélien [15] a laissé le goût amer d’une « raison dans l’histoire », d’un logos sans esprit, sans pneuma. Là s’enracine ce retour moderne, inattendu d’un besoin de spiritualité dans un monde hautement rationalisé. La réaction individuelle face au « système » était déjà apparue au XIXe siècle lorsque Søren Kierkegaard s’était posé comme individu face à la pensée unique (hégélienne) qui menaçait les élites danoises. Dans sa perspective, c’est par un recours à l’absoluité de la transcendance qu’il avait tenté de sortir de l’enfermement qu’il expérimentait.
Il est intéressant de découvrir que ses descendants selon l’ordre de la pensée, les existentia­listes du XXe siècle (Jean-Paul Sartre, Gabriel Marcel, Karl Jaspers, etc…) sont des jalons pour la revendication de spiritualité aujourd’hui. Quel que soit leur positionnement par rap­port à la transcendance, leur objectif a été de tenir en tension une certaine idée de la raison et leur existence de sujet pensant et libre [16]. J’interpréterais volontiers les recherches contempo­raines de spiritualité, au carrefour de multiples courants religieux, spirituels et philosophiques venant de toute la planète, comme l’expression de la recherche d’un nouveau souffle pour le déploiement actuel de la raison. Car il en existe également qui nient cette raison a priori. La leçon du prologue de l’évangile selon saint Jean est que l’esprit qui anime le logos ne s’op­pose pas à lui, mais lui permet de trouver son plein épanouissement. Ce point a été extrême­ment valorisé par les penseurs chrétiens cappadociens du IVe siècle.
Alors pourquoi l’apôtre Paul s’est-il arc-bouté sur l’opposition entre la sagesse de Dieu, folie pour l’homme opposée à la sagesse de l’homme, folie pour Dieu ?

4.  La spiritualité christique

Dans cette dernière étape, nous devons aborder le défi herméneutique de l’opposition paulienne sagesse de Dieu/sagesse de l’homme [17] parce que régulièrement, dans l’histoire du christianisme, des groupes ou des Églises en ont tiré des conclusions fallacieuses et dange­reuses pour les sujets humains.
« Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? » (1 Co 1, 20) Cette question au cœur d’une méditation de Paul sur la croix du Christ arrive comme en écho aux déceptions que tout un chacun peut connaître dans la société. « Je détruirai la sagesse des sages, et l’intelligence des intelligents je la rejetterai » (1 Co 1, 19) : en reprenant à son compte le prophè­te Isaïe (Is 29, 14), Paul semble nier toute valeur à la quête humaine de sagesse, et par consé­quent de spiritualité. C’est bien ainsi que l’interprètent des groupes religieux pour valoriser leur croyance, et peut-être souder leurs troupes, en faire des îlots de salut dans un monde dévoyé parce que dominé par la raison. Pourtant, Paul explicite la cause de sa colère. C’est en tant que la sagesse humaine n’a pas permis de reconnaître la sagesse de Dieu (v. 21) dans la croix du Christ qu’elle est attaquée par l’apôtre. Parce que la croix est « folie pour les païens » (v. 23), leur sagesse n’est pas à la hauteur de la promesse divine.
Précédemment, nous avions juste évoqué comment la croix, point terminal de la vie de Jésus, en signe sa caractéristique essentielle, celle d’être une vie-pour-autrui aux antipodes d’une vie d’accaparement (rejetée symboliquement par le refus de Jésus d’instrumentaliser sa mission décrit dans les tentations au désert). Le souffle qui a porté la vie de Jésus est celui du don de soi, de la priorité accordée d’abord à autrui, tout spécialement au pauvre, au faible, à l’exclu, à l’impur. En ce sens, la croix est la signature de sa vie.
Il ne s’agit pas de verser dans l’homélie ou l’exhortation ! Mais penser la spiritualité de Jésus, c’est entrer dans la dynamique de sa vie. Est-elle forcément rejetée par les hommes ? Non, dans la mesure où la sagesse humaine est également travaillée par la dynamique du don de soi. Nous pourrions définir comme spiritualité christique, non pas une spiritualité qui s’opposerait à la raison par principe, mais une spiritualité qui la dégagerait de son kyste l’enfermant sur elle-même pour lui permettre d’éclore et de fleurir.
La croix est la signature d’un parcours spirituel qui est celui-là même du logos, logos de Dieu et logos de l’homme. Une spiritualité christique serait celle qui pose que la transcen­dance — en son absolu — et l’homme ­— en son paradoxe — ont une parenté telle que le même souffle les anime. C’est ainsi donner une grande force à la raison humaine en la faisant bénéficier d’un esprit nouveau : celui de la croix.

*

La quête de spiritualité dans notre société est multiforme. Mais elle n’est pas vaine. Les sagesses humaines, les mouvements spirituels philosophiques participent d’une humanisation de la marche de « la raison dans l’histoire ». La contribution des hommes et des femmes qui s’inspirent du Christ dans cette quête pourrait être de mettre le doigt sur un critère essentiel — selon eux — de cette humanisation : la croix comme passage nécessaire, expression du don, pour une vie neuve. En nota bene, on pourrait ajouter que les Églises devraient avoir pour mission d’être des paraboles vivantes exprimant cette spiritualité.

Bernard Michollet (maj : 14 avril 2014).




    [1].   « Société en quête de spiritualité », texte consultable en ligne :       http://lecerclecondorcetdebourgenbresse.blogspot.fr/p/societe-en-quete-de-spiritualite-par.html.
    [2].   En l’occurrence, le Christ est celui qui est confessé par les églises chrétiennes.
    [3].   Le doublet français esprit/mental ne véhicule pas les mêmes harmoniques.
    [4].   Chez Aristote, le noûs est soit universel, soit individuel. Il caractérise l’âme humaine (les âmes des animaux en sont dépourvues).
    [5].   « […] le corps humain peut facilement périr, mais (…) l’esprit, ou l’âme de l’homme (ce que je ne distingue point), est immortelle de sa nature. » (Descartes, René, « Abrégé des six méditations suivantes » dans Méditations métaphysiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, p. 63).
    [6].   « Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même ! Humiliez-vous, raison impuissante ! Taisez-vous, nature imbécile ! Apprenez que l’homme passe infiniment l’homme et entendez de votre Maître votre condition véritable que vous ignorez. Écoutez Dieu. » (Pascal, Blaise, Pensées, « Fragment Contrariétés » n° 14 / 14). Le chrétien Pascal en tire une conclusion apologétique.
    [7].   Ainsi, nous pouvons tout à fait penser que la spiritualité païenne de l’Antiquité qui se conjuguait avec l’inégalité entre les hommes et entre les peuples avait pourtant sa consistance.
    [8].   Citons en particulier Pierre Hadot (La philosophie comme manière de vivre. Entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson, Paris, Albin Michel, 2001), peut-être aussi dans son style original, Michel Onfray (L’art de jouir. Pour un matérialisme hédoniste, Grasset, 1991). Philosophie et art de vivre sont liés.
    [9].   Cf. Meier, John Paul, Un certain Juif : Jésus. Les données de l’histoire. Paris, Cerf, coll. « Lectio divina », To. I. Les sources, les origines, les dates, 2004 [New York, 1991] ; To. II. La parole et les gestes, 2005 [New York, 1994] ; To. III. Attachements, affrontements, ruptures, 2005 [New York, 2001] ; To. IV. La Loi et l’amour, 2009 [New York, 2009] ; et Cousin Hugues (Éd.), Le monde où vivait Jésus, Paris, Cerf, 1998.
   [10].   Cf. Duquoc, Christian, Jésus, homme libre. Esquisse d’une christologie, Paris, Cerf, coll. « Théologies », éd. revue et augmentée, 2003 [1ère éd., 1974].
   [11].   C’est la mort en croix qui signe radicalement cette attitude.
   [12].   « Manière d’être » exprime son attitude avec autrui et aussi devant Dieu.
   [13].   « Cette rencontre [interne entre foi biblique et questions grecques] était depuis longtemps en marche. Déjà le nom de Dieu très mystérieux émanant du buisson ardent, qui sépare ce Dieu de tous les dieux aux noms multiples et le nomme simplement l’Être, est une contestation du mythe, qui n’est pas sans analogie interne avec la tentative de Socrate de dépasser et de surmonter le mythe. Le processus commencé au buisson ardent parvient à une nouvelle maturité à l’intérieur de l’Ancien Testament durant l’Exil […] » (Benoît XVI, Discours à l’Université de Ratisbonne, 17 septembre 2006.)
   [14].   Traditionnellement, la raison a été pensée comme l’image de Dieu en l’homme. Aujourd’hui, grâce à la psychanalyse, la notion de parole est revalorisée et lui est associée pour penser l’homme en théologie.
   [15].   Le messianisme marxiste-léniniste relève de cet héritage.
   [16].   Les analyses de Nietzsche tiennent également de cette requête dénonciatrice des idoles.
   [17].   « 18 Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu. 19 Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages, et l’intelligence des intelligents je la rejetterai. 20 Où est-il, le sage ? Où est-il, l’homme cultivé ? Où est-il, le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? 21 Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants. 22 Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse, 23 nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, 24 mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. 25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1 Co 1, 18‑25, trad. Bible de Jérusalem)

(Société spiritualité 2)

 

La spiritualité au carrefour
(Introduction à la soirée du 15 avril 2014)

Dans la suite de ce que nous venons d’entendre et des deux premières interventions, je propose seulement une réflexion sur l’intérêt éventuel de ce que nous désignons sous le vocable de « spiritualité ».
* Nous avons laissé ouverte la définition du terme, à dessein, et je m’y tiens. Il me semble que l’on veut désigner une forme d’attitude au sein de l’humanité que tout le monde ne reconnaît pas. Elle se caractériserait par quelques traits, des quasi-postulats car ils ne sont guère démontrables et en tout cas ne convaincront jamais l’humain de mauvaise foi.
1. Justement, le premier trait est sûrement la bonne foi de ceux qui s’étonnent (au sens philosophique) devant l’humanité et ne veulent pas la réduire à ses turpitudes. Cela pourrait être la droiture d’esprit de ceux qui s’interrogent et cherchent à décrypter leur vie et celle de leurs semblables.
2. En deuxième position pourraient se trouver même une admiration pour les humains et un refus de les réduire à de la pure matérialité. Alors cela conduit à considérer qu’ils sont aptes à se dépasser, cela au-delà de toutes les interprétations philosophico-religieuses qui peuvent exister de cette dimension de leur être.
3. En troisième position, apparaît la nécessité d’assumer la vie avec des semblables, et non seulement de l’assumer, mais de la souhaiter pour construire une humanité qui se prenne en charge. La spiritualité implique la société et prend alors une dimension nouvelle. Brièvement dit, cela entraîne des fonctionnements sociétaux idoines.
4. En quatrième position, mais c’est une attitude qui est à la racine de la démarche, se trouve la liberté du sujet, liberté jamais acquise (cf. les sciences humaines qui nous le rappellent) et toujours à conquérir. Les conditions extérieures pour faire advenir cette liberté sont essentielles et doivent se doubler de conditions intérieures pour que le sujet existe comme tel.
5. En cinquième position, temporairement la dernière, la spiritualité implique que le sujet s’assume pleinement selon toutes ses dimensions : un être inséré dans le monde naturel (avec les responsabilités qui lui incombent), dans une culture donnée (qu’il sait considérer avec distance), dans une histoire particulière (pas toujours exemplaire).
En guise de récapitulation de ces traits, je dirais que la spiritualité vise à développer un homme idéal. Définie négativement, elle s’oppose à ce qui réduit et avilit.
* Maintenant, je voudrais dire en quoi elle est au carrefour. Dans les approches antérieures, nous avions parlé du lien avec la religion, la philosophie et la politique.
La religion à laquelle nous pensons spontanément n’est pourtant pas synonyme de spiritualité. La religion est une réalité sociale (cf. l’approche de Durkheim) véhiculant des représentations du monde et postulant un monde invisible qu’elle « décrit » également. Elle joue un rôle d’encadrement indéniable. Ses rites qui constituent son langage propre ne sont pas nécessairement au service de la spiritualité. Cela est tellement vrai que l’histoire du judaïsme comme celle du christianisme ou de l’islam montrent que les hommes ou les femmes qui faisaient preuve d’originalité ou d’indépendance n’étaient pas bien reçus. C’était le cas des prophètes dans le judaïsme, des mystiques dans le christianisme ou dans l’islam (cf. le soufisme qui trouve difficilement sa place). Parfois, avec le temps, la religion digère les nouveautés, les recycle à son profit. Par là, elle travaille à sa propre transformation à venir. Le cas le plus exemplaire est l’avènement du protestantisme. Ces transformations ne se font pas sans douleur. Il se pourrait que la spiritualité soit le ferment intérieur aux religions pour leur permettre d’évoluer ou même de muer.
Nous avons accordé beaucoup d’intérêt au lien entre spiritualité et philosophie parce que d’une certaine manière cette dernière est une quasi-méthode en la matière. L’actualité des philosophes qui redonnent de la consistance à l’approche antique de quête de sagesse est intéressante (cf. Pierre Hadot). Et symptomatique de notre époque sûrement. Pourtant, rien n’est gagné là non plus. La pensée peut aussi être étouffée par des courants philosophiques qui se sclérosent ou qui se dessèchent en idéologies. Là non plus, les exemples ne manquent pas (il suffit d’évoquer la vigueur de l’analyse de Marx et à sa postérité). Alors faut-il dire que les penseurs qui veulent réarticuler leur vie et leur pensée jouent le rôle de spirituels qui tirent leurs collègues — et plus largement leurs semblables — de l’ornière de la pensée défaite ? Cela me conviendrait assez.
Enfin, avec le politique, le lien est lui aussi relativement ambigu. Si les traits caractéristiques de ce que peut être une spiritualité paraissent adéquats pour conduire des politiques, les pressions de tous ordres sont toujours là pour nier cet effort. L’enjeu est de taille car effectivement, les traits essentiels d’une spiritualité devraient enrichir une communauté politique. Cela indique, en creux, que la prise de parole de sujets libres est une nécessité cruciale pour une société, pour l’empêcher de sombrer dans les affres de la gestion des intérêts au service de quelques prédateurs. Cette liberté — en cours d’acquisition — serait l’essence de la spiritualité pour le politique.
* Alors en effet, la spiritualité peut bien être considérée comme étant au carrefour de réalités humaines, plutôt que portée par une seule de ces réalités. Et elle a pour rôle d’innerver ces réalités d’un esprit — justement — qu’elles ne véhiculent pas forcément. La spiritualité serait le caillou dans la chaussure de l’institutionnel.
Suite au débat, ajoutons qu’une réalité n’a pas été prise en compte : l’art. Ce grand absent serait pourtant à articuler avec l’œuvre de l’intelligence largement développée.
Bernard Michollet (15 avril 2014).

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